Loi Duplomb : Macron promulgue malgré la censure du Conseil constitutionnel

Le 12 août 2025, Emmanuel Macron a officialisé dans le Journal officiel la promulgation de la loi Duplomb (sans l’acétamipride), quelques jours seulement après sa censure partielle par le Conseil constitutionnel. Cette décision clôt un processus législatif des plus mouvementés, ayant suscité une mobilisation citoyenne d’une ampleur exceptionnelle.

Le contexte explosif de la loi agricole

La loi dite « Duplomb », officiellement intitulée « loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », a été portée par le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains) et adoptée le 8 juillet 2025 à l’Assemblée nationale. Ce texte visait initialement à simplifier les démarches administratives pour les agriculteurs et à rétablir une forme d’équité concurrentielle avec les producteurs européens.

La proposition de loi a rapidement cristallisé les oppositions en raison de son article 2, qui prévoyait la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018. Cette mesure a déclenché une mobilisation citoyenne d’une ampleur inédite, avec une pétition ayant recueilli plus de 2,1 millions de signatures sur le site de l’Assemblée nationale.

La censure historique des membres du Conseil constitutionnel

Le 7 août 2025, la juridiction constitutionnelle a rendu une décision historique en censurant partiellement la loi Duplomb. Les membres du Conseil ont invalidé l’article 2 autorisant la réintroduction de l’acétamipride, estimant que cette disposition manquait « d’encadrement suffisant » au regard de la Charte de l’environnement.

Dans sa décision n° 2025-891 DC, l’institution a rappelé que les néonicotinoïdes « ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux » et « induisent des risques pour la santé humaine ». La juridiction constitutionnelle a souligné que la dérogation prévue par la loi Duplomb était trop large, contrairement à celle qu’elle avait validée en 2020 pour les betteraves sucrières, limitée dans le temps et dans son champ d’application.

L’acétamipride au cœur des controverses

L’acétamipride appartient à la famille des néonicotinoïdes, des insecticides particulièrement toxiques pour les pollinisateurs. Interdit en France depuis 2018, ce pesticide reste autorisé dans le reste de l’Union européenne jusqu’en 2033. Cette disparité réglementaire génère une distorsion concurrentielle que dénoncent les syndicats agricoles français, lesquels plaident pour sa réintroduction.

Les partisans du pesticide, notamment dans les filières de la betterave sucrière et de la noisette, arguent qu’il n’existe pas d’alternative efficace contre certains ravageurs. La FNSEA, principal syndicat agricole, a qualifié la censure de « choc inacceptable et incompréhensible », dénonçant une « surtransposition » du droit européen qui pénalise les agriculteurs français.

Les mesures validées par la juridiction

Malgré la censure de l’article sur l’acétamipride, les membres du Conseil ont validé la majorité des dispositions de la loi Duplomb. Les simplifications administratives pour les élevages de porcs et de volailles ont été approuvées sans réserve, permettant l’agrandissement ou la construction de bâtiments d’élevage avec des procédures allégées.

Concernant les ouvrages de stockage d’eau, l’institution a formulé deux réserves d’interprétation importantes. Ces infrastructures, désormais présumées d’intérêt général majeur, ne pourront pas prélever dans les nappes inertielles et devront pouvoir être contestées devant un juge. Cette validation sous conditions répond aux préoccupations environnementales tout en permettant aux agriculteurs de mieux gérer la ressource hydrique face aux défis climatiques.

Les répercussions politiques et économiques

La promulgation de la loi Duplomb, même amputée de son article le plus controversé, suscite des réactions contrastées. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a annoncé que le gouvernement ne laisserait pas les filières menacées sans solution, évoquant la persistance d’une « divergence entre le droit français et le droit européen » qui maintient les conditions d’une « concurrence inéquitable ».

Du côté de l’opposition, Marine Le Pen a dénoncé l’intervention de la juridiction constitutionnelle, accusée de se comporter « comme un législateur », tandis que Laurent Wauquiez a critiqué « le niveau d’ingérence des juges constitutionnels ». À l’inverse, les écologistes et la gauche saluent une « victoire pour l’environnement et la santé », tout en maintenant leur pression pour obtenir l’abrogation totale de la loi.

Les défis agricoles entre production et environnement

Cette polémique révèle les tensions profondes qui traversent l’agriculture française, prise entre les impératifs de production et les exigences environnementales croissantes. Les agriculteurs font face à une réglementation qu’ils jugent toujours plus contraignante, dans un contexte de concurrence internationale féroce et de changement climatique.

Laurent Duplomb, à l’origine du texte, n’a pas exclu de déposer un nouveau projet de loi pour réintroduire l’acétamipride, mais en tenant compte cette fois des critères stricts imposés par la juridiction. Cette approche pourrait s’inspirer de la dérogation temporaire accordée en 2020 pour les betteraves sucrières, validée par les membres du Conseil car elle était limitée dans le temps et dans ses usages.

L’impact sur la filière agricole française

La censure de l’article sur l’acétamipride maintient un déséquilibre concurrentiel que dénoncent les professionnels. Alors que la France interdit ce pesticide, les importations en provenance d’autres pays européens qui l’autorisent continuent d’arriver sur le marché français. Cette situation interroge sur la cohérence des politiques européennes en matière de protection de l’environnement et de santé publique.

Les producteurs de betteraves sucrières et de noisettes, particulièrement concernés par cette interdiction, devront continuer à composer avec les alternatives disponibles, souvent jugées moins efficaces. Cette contrainte pourrait accélérer la recherche de solutions innovantes, comme le développement de techniques de biocontrôle ou l’amélioration des résistances variétales.

La promulgation de la loi Duplomb, même expurgée de sa disposition la plus polémique, marque une étape importante dans le débat sur l’avenir de l’agriculture française. Entre les exigences de productivité des agriculteurs et les préoccupations environnementales légitimes de la société civile, l’équilibre reste fragile et nécessitera des solutions innovantes pour concilier performance économique et protection de l’environnement.