Une nouvelle page se tourne dans le conflit opposant les géants du divertissement pour adultes aux autorités françaises. Ce mardi 15 juillet 2025, les plateformes Pornhub, YouPorn et RedTube ont suspendu leur accès depuis la France, réagissant immédiatement à la décision du Conseil d’État qui vient de rétablir l’obligation de vérification de l’âge pour tous les sites pornographiques européens.
Cette suspension, déjà vécue une première fois en juin dernier, illustre les tensions grandissantes entre les impératifs de protection des mineurs et les résistances de l’industrie pornographique face aux nouvelles réglementations françaises.
Le Conseil d’État tranche en faveur de la protection des mineurs
Le plus haut tribunal administratif français a rendu sa décision ce mardi 15 juillet 2025, rejetant pour défaut d’urgence la demande de suspension de l’obligation de vérification de l’âge imposée aux sites pornographiques établis dans l’Union européenne. Cette décision annule l’ordonnance du tribunal administratif de Paris qui avait temporairement suspendu l’arrêté interministériel du 26 février 2025.
La société Hammy Media Ltd, propriétaire du site xHamster, était à l’origine de ce recours juridique. Elle avait obtenu gain de cause le 16 juin 2025 devant le tribunal administratif de Paris, qui avait estimé qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté gouvernemental. Cette victoire temporaire avait permis aux sites d’Aylo de redevenir accessibles en France pendant quelques semaines seulement.
Dans sa décision, le Conseil d’État souligne que la société requérante n’apporte aucun élément permettant d’établir que l’application de l’arrêté contesté porterait une atteinte grave à sa situation économique. Les juges précisent également que l’arrêté n’interdit pas la diffusion de contenus pornographiques aux personnes majeures, mais impose uniquement la mise en place de systèmes de vérification d’âge efficaces.
La riposte immédiate d’Aylo
Quelques heures après l’annonce de la décision du Conseil d’État, Aylo, le groupe canadien propriétaire des principales plateformes pornographiques, a immédiatement réagi en bloquant l’accès à ses sites depuis la France. Les utilisateurs français découvrent désormais un message de protestation dénonçant les dysfonctionnements législatifs français.
Cette stratégie de blocage volontaire n’est pas une première pour Aylo. Le groupe avait déjà suspendu l’accès à ses plateformes le 4 juin 2025, avant de les rétablir le 20 juin suite à la suspension temporaire de l’arrêté par le tribunal administratif de Paris. Cette tactique de pression a également été utilisée par la société dans une vingtaine d’États américains confrontés à des législations similaires.
Sur leurs sites, les plateformes affichent un message accusant le gouvernement français de mettre en danger la vie privée des utilisateurs tout en prétendant que les exigences gouvernementales ne protègent pas les mineurs. Cette position tranche avec les arguments des autorités françaises qui justifient ces mesures par la nécessité impérieuse de protéger les enfants.
Un bras de fer juridique et politique
Cette nouvelle suspension intervient dans un contexte de tensions croissantes entre les plateformes pornographiques et les autorités françaises. Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique, s’est félicitée de la décision du Conseil d’État en déclarant sur les réseaux sociaux : YouPorn et Pornhub face au mur. Les manœuvres juridiques pour ne pas protéger les enfants ne fonctionnent pas.
La ministre avait saisi le Conseil d’État avec la ministre de la Culture pour contester la suspension de l’arrêté, témoignant de la détermination du gouvernement à faire appliquer cette réglementation. Elle avait déjà dénoncé le comportement des plateformes en déclarant : Mentir quand on ne veut pas respecter la loi et prendre en otage, c’est inadmissible. Protéger les enfants est une priorité.
La loi SREN : un cadre législatif renforcé
La loi SREN (Sécurisation et Régulation de l’Espace Numérique) adoptée le 21 mai 2024 constitue le socle juridique de ces nouvelles obligations. Cette législation marque une évolution significative dans la protection des mineurs en ligne, renforçant considérablement les exigences imposées aux sites pornographiques.
Le texte confie à l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) des pouvoirs étendus pour faire respecter ces nouvelles règles. L’autorité peut désormais mettre en demeure les sites non conformes, prononcer des sanctions pécuniaires, demander leur blocage par les fournisseurs d’accès Internet ou ordonner leur déréférencement par les moteurs de recherche.
Cette loi s’appuie sur des données alarmantes : selon l’Arcom, 2,3 millions de mineurs fréquentent chaque mois des sites pornographiques en France, certains étant très jeunes. La fréquentation de ces sites par les mineurs est désormais comparable à celle des adultes, avec 30% des mineurs contre 37% des adultes.
Le système du double anonymat
Le référentiel technique publié par l’Arcom le 9 octobre 2024 impose aux sites pornographiques de mettre en place au moins une méthode de vérification respectant le principe du double anonymat. Ce système innovant fonctionne en deux étapes distinctes pour garantir à la fois la protection des mineurs et le respect de la vie privée.
Dans un premier temps, l’utilisateur doit prouver sa majorité via un tiers de confiance indépendant, tel qu’un opérateur télécom ou une banque, qui peut exiger l’envoi d’une pièce d’identité ou d’un selfie. Ensuite, ce tiers transmet uniquement une confirmation d’âge au site sans révéler l’identité de l’utilisateur.
Ainsi, comme l’explique l’Arcom, le site connaît l’âge de l’utilisateur, mais sans pouvoir identifier ce dernier, tandis que le prestataire externe connaît l’identité de l’utilisateur sans toutefois savoir quel site il consulte. Cette architecture technique vise à concilier protection des mineurs et respect de la confidentialité.
L’action renforcée de l’Arcom
L’Autorité de régulation dispose désormais d’une panoplie d’outils pour faire respecter la réglementation. En avril 2025, l’Arcom avait déjà démontré sa détermination en mettant en demeure deux sites pornographiques, Pornovore et Chaturbate, pour non-respect de l’obligation de vérification d’âge.
Cette action s’inscrit dans une stratégie plus large de protection des mineurs en ligne. L’Arcom rappelle que l’encadrement de l’accès des mineurs à ces services numériques ne peut reposer uniquement sur la vérification de l’âge, soulignant la nécessité d’une approche globale incluant l’éducation et l’accompagnement parental.
Le régulateur a également interpellé la Commission européenne sur la nécessité d’une mise en œuvre prioritaire du règlement européen sur les services numériques pour les sites permettant aux mineurs d’accéder à des contenus pornographiques. Cette démarche témoigne de la volonté française d’étendre cette réglementation à l’échelle européenne.
Une bataille juridique qui se poursuit
Malgré cette victoire du gouvernement français, plusieurs contentieux restent en cours. Le Conseil d’État doit encore se prononcer sur le fond du dossier, et d’autres recours sont pendants, notamment une question préjudicielle renvoyée à la Cour de justice de l’Union européenne concernant l’application de ces mesures aux sites établis dans d’autres États membres de l’UE.
Cette question européenne constitue un enjeu crucial pour l’avenir de la réglementation française. La Cour de justice devra déterminer si un État membre peut imposer de telles obligations à des entreprises établies dans d’autres pays de l’Union, soulevant des questions complexes de droit européen et de libre circulation des services.
Les arguments des plateformes face aux exigences françaises
Aylo et les autres acteurs du secteur maintiennent que les exigences françaises sont disproportionnées et inefficaces. Ils argumentent que la vérification d’âge devrait être effectuée au niveau des appareils (smartphones, ordinateurs) plutôt qu’au niveau des sites, proposant une approche technologique différente.
Cette position reflète les préoccupations de l’industrie concernant la viabilité économique de leurs modèles d’affaires et l’impact sur l’expérience utilisateur. Les plateformes redoutent que les obligations de vérification d’âge ne conduisent à une baisse significative de leur audience et, par conséquent, de leurs revenus publicitaires.
Le groupe canadien dénonce également les risques pour la vie privée, estimant que les systèmes de vérification d’âge proposés par les autorités françaises créent des risques de surveillance et de collecte excessive de données personnelles. Cette argumentation fait écho aux préoccupations exprimées par certains défenseurs des libertés numériques.
Un conflit aux ramifications internationales
Cette confrontation entre la France et les géants du pornographie en ligne dépasse largement les frontières nationales. Elle s’inscrit dans une tendance mondiale de régulation accrue de l’accès des mineurs aux contenus pour adultes, avec des législations similaires adoptées ou en discussion dans de nombreux pays.
Les États-Unis, où Aylo a déjà suspendu l’accès à ses sites dans une vingtaine d’États, connaissent des débats similaires. Cette stratégie de blocage volontaire apparaît comme une tactique de pression récurrente de l’industrie pour influencer les décisions politiques et législatives.
L’issue de ce conflit franco-canadien pourrait donc avoir des répercussions significatives sur l’évolution de la réglementation internationale en matière de protection des mineurs en ligne, d’autant plus que la France occupe une position pionnière dans ce domaine au niveau européen.
Perspectives et enjeux futurs
Cette nouvelle suspension des sites pornographiques majeurs marque une étape supplémentaire dans un bras de fer qui semble loin d’être terminé. L’enjeu dépasse la simple question technique de la vérification d’âge pour toucher aux fondements mêmes de la régulation d’Internet et de la protection des mineurs dans l’espace numérique.
Les prochaines semaines seront déterminantes pour l’avenir de cette réglementation. Le gouvernement français devra maintenir sa pression réglementaire tout en surveillant l’émergence éventuelle de solutions techniques alternatives proposées par l’industrie. De leur côté, les plateformes devront évaluer les coûts économiques et réputationnels de leur stratégie de blocage face à la détermination des autorités françaises.
Cette affaire illustre parfaitement les défis contemporains de la régulation numérique, où s’affrontent les impératifs de protection des mineurs, les préoccupations concernant la vie privée et les intérêts économiques d’une industrie globalisée. La résolution de ce conflit pourrait définir les contours futurs de la gouvernance d’Internet et l’équilibre entre liberté d’expression et protection de l’enfance dans l’espace numérique.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque