L’affaire a tout du scénario d’un thriller financier. Ce qui se joue devant le tribunal correctionnel de Draguignan en mai 2025 dépasse le simple fait divers : le système de remboursement des transports sanitaires y révèle ses failles les plus criantes. Derrière les 2,34 millions d’euros détournés par cette conductrice de taxi varoise se cache une mécanique bien huilée, exploitant pendant cinq ans les faiblesses d’un dispositif conçu pour protéger les patients.
L’art et la manière de détourner les fonds publics
Comment une simple conductrice de taxi a-t-elle pu siphonner les caisses de l’Assurance maladie avec une telle efficacité ? La réponse tient en trois mots : audace, connaissance du système et négligence administrative.
Ancienne ambulancière devenue taxi en 2006, Véronique B. avait perfectionné sa méthode. Elle profitait notamment de la laxité d’un hôpital marseillais laissant à disposition des formulaires prétamponnés. Une aubaine que cette quinquagénaire exploitait en remplissant ces documents avec des patients fictifs ou des trajets jamais effectués.
La procureure Mathilde Gauvain résume le mécanisme avec une pointe d’ironie. « À chaque fois qu’elle avait besoin d’argent, elle faisait une télédéclaration. C’est magique ! » Effectivement, le système se transformait en véritable pompe à finances. Les caisses primaires réglaient les factures sans vérification préalable, sur la base d’une simple déclaration électronique.
Un arsenal de techniques frauduleuses
La fraude ne se résumait pas à de simples déclarations mensongères. La prévenue avait déployé tout un éventail de méthodes, depuis la surfacturation un trajet de 10 km devenant 50 km sur la facture jusqu’à la double facturation d’un même trajet, sans oublier les courses purement imaginaires.
L’exemple le plus flagrant concerne cet assuré du Var rattaché à la CPAM de Roubaix-Tourcoing. Pour ce seul patient, elle encaissa 1,3 million d’euros. Certains jours, elle osait facturer jusqu’à trente trajets… Le parcours d’une seule journée. Un rythme impossible à tenir, même pour le taxi le plus véloce de France.
Une saignée à plusieurs étages
Le préjudice total donne le vertige : 2,34 millions d’euros. Plus frappant encore, la dispersion géographique des organismes lésés. Pas moins de cinq caisses différentes subirent les assauts de cette fraude méthodique.
Jean-François Civet, directeur de la CPAM du Var, décrypte le mécanisme. « Elle a bénéficié de l’éclatement des différentes caisses, continuant à facturer certaines après avoir été mise à l’index par d’autres. » Une faille béante dans un système où les organismes semblent parfois fonctionner en silos.
Contrecoups sur une profession entière
L’affaire surgit au pire moment pour les professionnels du transport sanitaire. Alors qu’ils se mobilisent contre une réforme visant à limiter les dépenses, ce cas spectaculaire alimente les arguments des partisans d’un contrôle renforcé.
La procureure établit clairement le lien. « Si les taxis sont pénalisés dans leur activité, c’est en partie parce qu’elle fraude à tout va. » Un coup dur pour une profession majoritairement honnête, mais dont l’image écope à chaque nouveau scandale.
Le théâtre judiciaire
Le 27 mai 2025, s’ouvre à Draguignan le procès de Véronique B. pour escroquerie et blanchiment. Face à la masse de preuves accumulées par la brigade de Brignoles, la prévenue adopte une stratégie pour le moins singulière.
Elle concède quelques « erreurs », mais persiste à affirmer que la plupart des transports ont bel et bien été effectués. Une version difficile à défendre quand on découvre qu’elle a facturé 256 000 euros pour des trajets d’une patiente du Puy-de-Dôme… qui n’a jamais mis les pieds dans le Var.
Une réponse pénale à la hauteur
La procureure requiert trois ans de prison ferme avec mandat de dépôt immédiat. Une sévérité justifiée par l’ampleur des détournements et le train de vie ostentatoire financé par la fraude.
Les enquêteurs ont mis au jour un véritable trésor de guerre : deux licences de taxi, une salle de sport complète, un appartement, six voitures, une moto et 80 000 euros sur divers comptes. Sans compter les transferts à l’étranger et les achats immobiliers au nom de sa fille.
Les leçons d’un scandale
Au-delà du cas individuel, l’affaire expose au grand jour des dysfonctionnements structurels. Le système de confiance paiement avant vérification montre ses limites face à des fraudeurs déterminés.
La solution ? Un système de géolocalisation couplé à la facturation, prévu pour 2027. Mais cette mesure suffira-t-elle à colmater les brèches ? Les professionnels du secteur s’interrogent, partagés entre la nécessité de lutter contre la fraude et la crainte de voir se multiplier les contrôles tatillons.
L’affaire Véronique B. restera comme un cas d’école, celui où la confiance institutionnelle, faute de garde-fous, nourrit les appétits les plus voraces.
Source : https://www.varmatin.com/justice/fraude-a-la-cpam-prison-ferme-requise-contre-la-conductrice-de-taxi-varoise-987660