Dans un contexte de tensions budgétaires et de recherche d’économies publiques, la question de la rémunération des élus revient régulièrement dans le débat public. L’idée de réduire les salaires des parlementaires séduit par sa simplicité apparente, mais quels seraient réellement les bénéfices financiers d’une telle mesure ? Une analyse précise révèle que baisser de 10% les indemnités des 577 députés français générerait une économie annuelle de 5,6 millions d’euros pour l’État.
La rémunération actuelle des députés français
Selon les données officielles de l’Assemblée nationale, chaque député français perçoit en 2024 une indemnité parlementaire brute mensuelle de 7 637,39 euros. Cette somme se décompose en trois éléments distincts : une indemnité de base de 5 931,95 euros, une indemnité de fonction représentant 25% du total soit 1 527,48 euros, et une indemnité de résidence équivalant à 3% soit 177,96 euros. (Source : Assemblée nationale)
Après déduction des cotisations obligatoires, notamment la contribution au régime de retraite et les charges sociales, le montant net mensuel s’établit à 5 953,34 euros. Cette rémunération place les députés français dans une position intermédiaire par rapport à leurs homologues européens. Les eurodéputés perçoivent ainsi 6 825 euros net mensuels, soit 872 euros de plus, tandis que les députés allemands bénéficient d’une rémunération supérieure de 15% à celle des parlementaires français. (Source : Touteleurope.eu)
Le calcul précis de l’économie potentielle
L’Assemblée nationale compte exactement 577 députés, un nombre fixé par la Constitution depuis la révision de 2008. Une réduction de 10% de leur indemnité parlementaire brute représenterait une économie de 763,74 euros par député et par mois. Multiplié par l’ensemble des élus, cela équivaut à une économie mensuelle de 467 077 euros, soit 5 604 924 euros sur une année complète.
Cette somme, bien que non négligeable en valeur absolue, doit être mise en perspective avec l’ampleur des finances publiques françaises. Elle représente seulement 0,001% du budget total de l’État et équivaut à environ 8 centimes d’euro par citoyen français. Pour mieux saisir cette proportion, l’économie réalisée correspond à moins de 0,02% des 37,7 milliards d’euros que génère annuellement la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. (Source : Le Monde)
La promesse non tenue de Macron : supprimer un tiers des députés
Emmanuel Macron avait fait de la réduction du nombre de parlementaires l’une des promesses phares de sa campagne présidentielle de 2017. Le candidat d’En Marche proposait alors de « réduire d’environ un tiers le nombre de députés et de sénateurs », soit une suppression de 192 sièges à l’Assemblée nationale et 116 au Sénat. Cette mesure devait ramener le nombre de députés de 577 à 385, et celui des sénateurs de 348 à 232.
L’économie potentielle de cette réforme aurait été considérablement plus importante qu’une simple baisse de salaires. Selon les calculs de la Fondation iFRAP, think tank libéral, chaque député coûte annuellement 530 000 euros à l’État (indemnités, charges sociales, pensions, frais de secrétariat et autres charges liées au mandat). La suppression de 192 postes de députés aurait donc généré une économie annuelle d’environ 100 millions d’euros sur le budget de l’Assemblée nationale, soit près de 18 fois plus que la réduction de 10% des salaires actuellement étudiée. (Source : Capital)
Cette promesse, réaffirmée lors du discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès réuni à Versailles en juillet 2017, n’a finalement jamais été mise en œuvre. Les projets de loi constitutionnelle prévoyant cette réduction ont été abandonnés face aux résistances parlementaires et aux difficultés techniques de mise en œuvre, notamment concernant la représentation territoriale.
Une mesure avant tout symbolique
L’impact budgétaire limité de cette réduction souligne le caractère essentiellement symbolique d’une telle mesure. Rapportée au budget de fonctionnement de l’Assemblée nationale, qui s’élève à 643,1 millions d’euros pour 2025, l’économie représenterait moins de 1% des dépenses parlementaires. (Source : Economie.gouv.fr)
Cette proportion relativement faible s’explique par le fait que les indemnités des députés ne constituent qu’une partie des coûts liés au fonctionnement du Parlement. Le budget de l’Assemblée nationale inclut également les salaires des quelque 1 200 fonctionnaires qui travaillent au Palais-Bourbon, les frais de maintenance des bâtiments, les coûts technologiques, et diverses prestations de service.
Au-delà des indemnités : les autres avantages parlementaires
La rémunération directe ne représente qu’une partie des moyens mis à disposition des députés pour exercer leur mandat. Chaque élu bénéficie d’une avance de frais de mandat de 6 353 euros mensuels, destinée à couvrir les dépenses liées à l’exercice de leurs fonctions qui ne sont pas directement prises en charge par l’Assemblée. Cette enveloppe permet notamment de financer les déplacements en circonscription, les frais de communication ou encore la location d’un pied-à-terre parisien. (Source : Libération)
S’ajoute également un crédit collaborateur de 11 118 euros mensuels, permettant à chaque député d'employer jusqu’à cinq assistants parlementaires. Les charges patronales et sociales afférentes sont prises en charge séparément par l’Assemblée nationale. Ces dotations, qui échappent généralement aux propositions de réduction, représentent pourtant un montant supérieur aux indemnités parlementaires elles-mêmes.
Les précédents et tentatives de réduction
L’idée de diminuer la rémunération des élus n’est pas nouvelle dans le paysage politique français. En 2011, l’Assemblée nationale avait rejeté une proposition de baisse de 10% des indemnités parlementaires, seuls quelques députés s’appliquant volontairement cette réduction. Plus récemment, une pétition déposée à l’Assemblée nationale en 2025 propose une réduction de 1 000 euros par mois pour l’ensemble des élus de la République, du président aux parlementaires.
Ces initiatives reflètent une attente citoyenne récurrente, particulièrement en période de difficultés économiques. Elles s’inscrivent dans une démarche plus large de « moralisation » de la vie politique et de rapprochement entre les élus et leurs électeurs. Cependant, les économistes soulignent que de telles mesures, bien que politiquement compréhensibles, ont un impact budgétaire marginal face aux enjeux des finances publiques.
La question de l’attractivité démocratique
Les défenseurs du niveau actuel de rémunération mettent en avant l’argument de l’attractivité démocratique du mandat parlementaire. L’indemnité parlementaire, établie par référence aux plus hauts fonctionnaires de l’État depuis 1958, vise à garantir l’indépendance financière des élus et à permettre à des citoyens de toutes conditions sociales d’accéder aux fonctions parlementaires.
Une réduction significative pourrait théoriquement dissuader certains candidats potentiels, particulièrement ceux issus des classes moyennes qui ne disposent pas d’autres sources de revenus substantielles. Cette préoccupation trouve un écho particulier dans la comparaison internationale, où l’on observe que les pays aux parlements les moins rémunérés tendent à concentrer les mandats électifs dans les catégories socio-professionnelles les plus aisées.
L’impact dans le contexte budgétaire global
Pour replacer cette économie potentielle dans son contexte, il convient de la comparer aux défis budgétaires actuels de la France. Le déficit public français s’établit à environ 166,6 milliards d’euros pour 2024, tandis que la dette publique dépasse les 3 000 milliards d’euros. Dans cette perspective, les 5,6 millions d’euros économisés représentent moins de 0,004% du déficit annuel.
Cette proportion illustre la complexité de l’équilibre budgétaire, qui nécessite des réformes structurelles d’ampleur bien supérieure à des ajustements symboliques sur la rémunération des élus. Les économistes préconisent plutôt des réformes touchant aux grands postes de dépenses publiques, comme la modernisation de l’administration, l’optimisation des prestations sociales ou la rationalisation des collectivités territoriales.
Vers une réforme plus globale du statut parlementaire
Plutôt qu’une simple réduction des indemnités, certains experts suggèrent une réforme plus complète du statut parlementaire. Cette approche pourrait inclure une révision des dotations et avantages annexes, une meilleure transparence sur l’utilisation des frais de mandat, ou encore une modernisation des moyens mis à disposition des députés.
L’exemple européen montre que différents modèles coexistent. Certains pays privilégient des salaires élevés avec peu d’avantages annexes, tandis que d’autres optent pour des rémunérations modérées complétées par des dotations importantes. La France se situe dans une position intermédiaire, mais pourrait bénéficier d’une clarification de ces mécanismes pour améliorer la compréhension citoyenne du coût réel de la démocratie représentative.
En définitive, baisser de 10% le salaire des députés générerait une économie réelle mais modeste de 5,6 millions d’euros annuels pour l’État français. Cette mesure, davantage symbolique qu’économiquement décisive, s’inscrit dans un débat plus large sur l’exemplarité des élus et le coût de la démocratie. Elle rappelle que les véritables enjeux budgétaires se situent ailleurs, dans des réformes structurelles d’une tout autre ampleur que les ajustements de rémunération parlementaire, aussi légitimes soient les interrogations citoyennes qu’ils suscitent.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque