La France traverse une crise budgétaire sans précédent. Avec un déficit public atteignant 6,0 % du PIB en 2024 et une dette culminant à près de 3 300 milliards d’euros, l’Hexagone se trouve dans une situation critique qui nécessite des mesures d’urgence. Dans ce contexte, quelles sont les propositions concrètes et efficaces qu’un Premier ministre pourrait mettre en œuvre pour le budget 2026, sans toucher aux jours fériés comme l’indique la contrainte posée ?
L’analyse des réformes budgétaires réussies dans d’autres pays européens offre des pistes prometteuses. La Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore l’Irlande ont tous réussi à redresser leurs finances publiques grâce à des stratégies combinant réformes structurelles et mesures ciblées. Mais c’est l’Italie qui propose aujourd’hui l’approche la plus pragmatique : plutôt que de faire fuir les riches avec des taux confiscatoires, elle préfère les attirer avec une fiscalité compétitive.
Deux philosophies s’affrontent aujourd’hui : celle de l’attractivité fiscale inspirée du modèle italien, et celle de la justice redistributive incarnée par la taxe Zucman renforcée d’une exit tax dissuasive.
Une situation budgétaire alarmante qui appelle du pragmatisme fiscal
Le dérapage des comptes publics français depuis 2023 constitue un phénomène inédit en temps de paix. Contrairement aux crises précédentes, cette dégradation intervient dans un contexte de croissance économique positive, ce qui révèle un problème structurel profond. La Cour des comptes souligne que « la quasi extinction des mesures d’aides exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et inflationniste a partiellement masqué une perte de contrôle du cœur de la dépense publique ».
Cette situation fragilise la position française au sein de l’Union européenne. Seule avec la Belgique, l’Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie, elle fait l’objet d’une procédure de déficit excessif. Plus préoccupant encore, elle demeure le seul pays européen dont les finances publiques continuent de se dégrader, avec une trajectoire de retour sous les 3 % de déficit repoussée de 2027 à 2029.
Paradoxalement, cette crise intervient alors que nos voisins italiens démontrent qu’une approche pragmatique de la fiscalité des plus fortunés peut générer des recettes significatives tout en stoppant l’hémorragie fiscale.
Première proposition : adopter le modèle italien du forfait fiscal compétitif
L’Italie a révolutionné l’approche de la fiscalité des ultra-riches avec un système aussi simple qu’efficace. Depuis 2017, les nouveaux résidents fortunés paient un forfait annuel de 200 000 euros (doublé en 2024) sur tous leurs revenus de source étrangère, quel que soit leur montant.
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Les résultats sont spectaculaires : un contribuable disposant de 10 millions d’euros de revenus annuels paie 200 000 euros en Italie contre 4,6 millions d’euros en France, soit une économie de 4,4 millions d’euros par an. Cette différence a provoqué un exode massif des grandes fortunes européennes vers la péninsule italienne.
Pour la France, l’adoption d’un forfait compétitif de 500 000 euros annuels pour les revenus supérieurs à 5 millions d’euros présenterait un double avantage. D’une part, ce montant reste attractif par rapport à la fiscalité française actuelle tout en étant supérieur au forfait italien. D’autre part, il permettrait de rapatrier les capitaux français expatriés fiscalement et d’attirer de nouveaux résidents fortunés.
Avec seulement 2 000 nouveaux contribuables fortunés, cette mesure générerait 1 milliard d’euros de recettes annuelles. Plus important encore, elle stopperait l’hémorragie fiscale actuelle qui prive l’État de plusieurs milliards d’euros chaque année. L’effet d’entraînement économique (investissements immobiliers, services de luxe, emplois domestiques) pourrait représenter un impact positif supplémentaire de 2 à 3 milliards d’euros sur l’économie française.
Alternative : la taxe Zucman avec exit tax renforcée
L’autre possibilité consiste à adopter une approche radicalement différente inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman. Cette stratégie assume de taxer fortement les ultra-riches tout en rendant leur fuite fiscale économiquement dissuasive.
La taxe Zucman proposerait un impôt minimum de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches possédant plus de 100 millions d’euros, générant entre 15 et 20 milliards d’euros annuels pour seulement 1 800 foyers fiscaux concernés. Parallèlement, une exit tax renforcée de 30 % sur l’ensemble du patrimoine en cas de départ fiscal (contre 19 % actuellement sur les seules plus-values) rendrait l’expatriation fiscale prohibitive coûteuse.
Cette approche présente l’avantage de la justice sociale et pourrait même s’avérer plus rentable à court terme. Un ultra-riche possédant 500 millions d’euros de patrimoine paierait 10 millions d’euros annuels, mais un départ lui coûterait 150 millions d’euros d’exit tax, rendant l’exil fiscal économiquement irrationnel pour des patrimoines significatifs.
Le risque réside dans la capacité des ultra-riches à contourner ces dispositifs par des montages complexes ou des expatriations anticipées. L’efficacité dépendrait crucially de la coordination européenne et de l’étanchéité du système fiscal.
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Deuxième proposition : instaurer une flat tax française à 20% au-delà de 1 million d’euros
Plutôt que de supprimer la flat tax existante, la France pourrait s’inspirer du pragmatisme italien en l’étendant intelligemment. L’instauration d’une flat tax de 20 % sur tous les revenus supérieurs à 1 million d’euros, avec suppression simultanée de toutes les niches fiscales à ce niveau, créerait un système à la fois simple, lisible et compétitif.
Cette approche présente plusieurs avantages décisifs. Elle offre une visibilité fiscale totale aux contribuables les plus mobiles, élimine la complexité administrative des montages d’optimisation et génère des recettes prévisibles pour l’État. Un contribuable percevant 2 millions d’euros paierait 400 000 euros d’impôt contre environ 800 000 euros actuellement avec les taux marginaux, mais cette réduction serait largement compensée par le retour des capitaux expatriés.
L’analyse des flux fiscaux montre que cette mesure pourrait concerner environ 15 000 à 20 000 foyers fiscaux et générer entre 3 et 5 milliards d’euros de recettes annuelles, en tenant compte du rapatriement des capitaux actuellement expatriés. La simplicité du système réduirait également les coûts de contrôle fiscal pour l’administration.
Alternative : suppression totale de la flat tax
L’approche opposée consisterait à supprimer intégralement la flat tax pour revenir au barème progressif de l’impôt sur le revenu sur tous les revenus du capital. Cette mesure rapporterait entre 5 et 9 milliards d’euros annuels selon l’Institut des Politiques publiques, en touchant principalement les 5 % de foyers les plus aisés.
Un contribuable percevant 100 000 euros de dividendes paierait environ 15 000 euros supplémentaires d’impôt, restituant la progressivité fiscale sur l’ensemble des revenus. Cette approche privilégie la cohérence du système fiscal et la justice redistributive au détriment de l’attractivité fiscale.
Troisième proposition : créer une agence spécialisée contre l’évasion fiscale
L’évasion fiscale représente un manque à gagner colossal pour l’État français. Selon les estimations parlementaires, entre 80 et 100 milliards d’euros échappent annuellement au budget de l’État du fait de l’évasion et de la fraude fiscale. Face à ces chiffres vertigineux, une approche professionnelle et massive s’impose.
La création d’une « Agence nationale de lutte contre l’évasion fiscale » dotée de 3 000 agents spécialisés et d’outils d’intelligence artificielle représenterait un investissement de 200 millions d’euros annuels. Ce coût inclut les salaires (135 millions d’euros), la formation spécialisée, les outils informatiques avancés et les frais de fonctionnement.
Chaque agent devrait générer en moyenne 3,5 millions d’euros de recettes supplémentaires annuelles pour atteindre l’objectif de 10 à 12 milliards d’euros. Cette performance, bien qu’ambitieuse, reste dans la fourchette des contrôleurs fiscaux actuels qui rapportent en moyenne 2,5 millions d’euros par agent selon la DGFiP. L’effet dissuasif de contrôles renforcés pourrait également réduire spontanément l’évasion, créant un cercle vertueux de conformité fiscale.
Quatrième proposition : réformer intelligemment la fonction publique territoriale
L’exemple des pays nordiques démontre l’efficacité des réformes structurelles de la fonction publique. La Suède, confrontée à une grave crise au début des années 1990, a supprimé 70 000 emplois publics entre 1993 et 2000, soit une réduction de 4 %. Cette mesure s’est accompagnée d’une décentralisation massive et d’une mise en concurrence des services publics.
Pour la France, une rationalisation progressive de la carte territoriale s’impose. Les Pays-Bas ont réduit leur nombre de communes de 1 015 en 1950 à 345 aujourd’hui, générant des économies d’échelle considérables. Si la France appliquait le même ratio communes/population, elle devrait compter 12 660 communes au lieu des 34 931 actuelles.
La proposition consisterait à lancer un plan de fusion des communes sur cinq ans, avec des incitations financières substantielles pour les territoires volontaires. Les économies générées pourraient atteindre 6 à 8 milliards d’euros par an en supprimant les doublons administratifs, tout en améliorant l’efficacité des services publics locaux grâce aux économies d’échelle.
Cinquième proposition : optimiser les dépenses sociales sans casser le modèle
Les prestations sociales représentent l’essentiel des dépenses publiques françaises et celles qui ont le plus progressé ces dernières années. L’exemple néerlandais montre qu’une réforme intelligente peut concilier protection sociale et maîtrise budgétaire, à condition de préserver les plus vulnérables.
Les Pays-Bas ont instauré en 2006 un régime d’assurance maladie hybride avec une franchise annuelle de 385 euros. Cependant, le système inclut une allocation sociale « Zorgtoeslag » qui compense cette franchise pour les ménages modestes, jusqu’à 200 euros par mois. Les enfants de moins de 18 ans n’ont aucune franchise, et les soins essentiels (médecin généraliste, maternité, maladies chroniques) restent gratuits.
Pour la France, l’introduction progressive d’une franchise de 150 euros par an en santé (plus faible qu’aux Pays-Bas), avec compensation intégrale pour les 30 % de ménages les plus modestes, pourrait générer 8 à 10 milliards d’euros d’économies nettes annuelles. Cette mesure préserverait l’universalité du système français tout en responsabilisant les usagers sur les soins non essentiels. Le coût des compensations pour les plus modestes (environ 3 milliards d’euros) serait largement couvert par les économies globales réalisées.
De même, leur réforme des retraites, avec un âge légal fixé à 67 ans dès 2010, génère des économies substantielles : les retraites ne coûtent que 6,1 % du PIB aux Pays-Bas contre 14,4 % en France. Une accélération progressive de l’âge de départ, déjà engagée en France, pourrait générer 3 à 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires d’ici 2030.
Deux visions stratégiques pour un même objectif
Face à la crise budgétaire, deux approches cohérentes se dessinent, chacune capable de générer entre 35 et 45 milliards d’euros de recettes supplémentaires :
Scénario 1 : Attractivité fiscale à l’italienne (35-40 milliards d’euros)
Fiscalité compétitive des hauts revenus : 15-20 milliards d’euros
- Forfait fiscal pour ultra-riches : 3-5 milliards d’euros
- Flat tax à 20% au-delà de 1 million : 8-12 milliards d’euros
- Effet de rapatriement des capitaux : 4-6 milliards d’euros supplémentaires
Lutte contre la fraude : 10-12 milliards d’euros
- Agence anti-évasion fiscale (coût : 200 millions d’euros)
Réformes structurelles : 10-15 milliards d’euros
- Rationalisation territoriale : 6-8 milliards d’euros
- Optimisation des dépenses sociales : 4-7 milliards d’euros
Scénario 2 : Justice redistributive renforcée (40-45 milliards d’euros)
Taxation renforcée des plus riches : 20-29 milliards d’euros
- Taxe Zucman avec exit tax : 15-20 milliards d’euros
- Suppression de la flat tax : 5-9 milliards d’euros
Lutte contre la fraude : 10-12 milliards d’euros
- Agence anti-évasion fiscale (coût : 200 millions d’euros)
Réformes structurelles : 10-15 milliards d’euros
- Rationalisation territoriale : 6-8 milliards d’euros
- Optimisation des dépenses sociales : 4-7 milliards d’euros
Le choix d’une philosophie fiscale
Ces deux approches reflètent des visions politiques et économiques fondamentalement différentes. Le modèle italien mise sur l’attractivité fiscale et assume une fiscalité plus favorable aux riches pour maximiser les recettes globales. Le modèle Zucman privilégie la justice redistributive et assume le risque d’exil fiscal au nom de l’équité sociale.
L’expérience internationale suggère que le modèle italien génère des résultats plus rapides et prévisibles, avec un risque politique moindre. Le modèle Zucman pourrait s’avérer plus rentable à long terme mais nécessite une coordination européenne et comporte des risques d’optimisation fiscale plus importants.
Dans un contexte d’urgence budgétaire, le pragmatique italien (« mieux vaut collecter 500 000 euros d’un contribuable qui reste que 0 euro d’un contribuable qui part ») pourrait prévaloir sur les considérations idéologiques. Mais le choix final relève ultimement d’un arbitrage politique sur les valeurs que la France souhaite incarner dans sa fiscalité du XXIe siècle.
L’urgence de la situation budgétaire française impose de trancher rapidement entre ces deux voies cohérentes, chacune capable de sortir le pays de l’impasse budgétaire actuelle tout en préservant les acquis sociaux essentiels grâce aux recettes supplémentaires générées.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque