Retraite en France : Combien gagnent réellement les retraités ?

Avec l’allongement de l’espérance de vie et les réformes successives, la question du montant des pensions mobilise l’attention de millions de Français. En 2024, 17 millions de retraités perçoivent une pension de 1 626 euros bruts par mois en moyenne, soit 1 512 euros nets après déduction des prélèvements sociaux. Derrière cette moyenne nationale se cachent d’importantes disparités selon le parcours professionnel, le sexe et la région de résidence.

Les chiffres clés des retraites françaises

Le système français de retraite par répartition repose sur un principe de solidarité intergénérationnelle. Les actifs d’aujourd’hui financent les pensions des retraités actuels, tout en se constituant leurs propres droits futurs. Cette construction à étages produit des montants différenciés selon le parcours professionnel.

La pension de droit direct représente 91% du total perçu par les retraités, les 9% restants correspondant aux pensions de réversion. Pour les retraités résidant en France, cette pension de 1 626 euros bruts équivaut à 62,3% du revenu d’activité net des personnes en emploi, un ratio qui tend à diminuer depuis plusieurs années.

Entre 2016 et 2021, la pension brute mensuelle a baissé de 2,7% en euros constants, principalement en raison de revalorisations inférieures à l’inflation dans certains régimes et de la forte hausse des prix fin 2021.

Le régime général de la Sécurité sociale : socle de base

Le régime général géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) constitue le pilier principal du système français. En 2024, ce régime verse une pension de 891 euros bruts mensuels en moyenne à ses 15,3 millions de bénéficiaires.

Cette prestation de base se calcule selon une formule précise : salaire annuel sur les 25 meilleures années, multiplié par le taux de liquidation (jusqu’à 50% à taux plein) et par la durée d’assurance rapportée à la durée requise. Le plafond mensuel s’établit à 1 932 euros bruts en 2024, soit 50% du plafond de la Sécurité sociale.

Les disparités restent marquées au sein même de ce régime. Les femmes perçoivent 745 euros contre 1 132 euros pour les hommes, reflétant les inégalités salariales et les carrières souvent hachées par les interruptions liées à la maternité.

Les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO : complément indispensable

Obligatoire pour tous les salariés du privé, le régime AGIRC-ARRCO verse une pension complémentaire de 514 euros mensuels en moyenne. Ce montant s’ajoute à la retraite de base pour former la pension globale des anciens salariés du secteur privé.

Le système fonctionne par points : chaque euro de cotisation permet d’acquérir des points de retraite, dont la valeur évolue dans le temps. En novembre 2024, la valeur de service du point s’établit à 1,4386 euro. Pour les nouveaux retraités de 2023, la pension atteint 464 euros, avec un écart significatif entre les femmes (368 euros) et les hommes (587 euros).

Cette différence s’explique par les écarts de rémunération durant la vie active et les périodes d'emploi plus courtes ou moins bien rémunérées pour les femmes. Le régime AGIRC-ARRCO représente un élément crucial du pouvoir d’achat des retraités du privé, constituant environ un tiers de leur pension totale.

Les régimes spéciaux : des pensions privilégiées

Les régimes spéciaux concernent environ 500 000 retraités issus d’entreprises publiques comme la SNCF, la RATP ou EDF. Ces dispositifs, hérités de l’histoire sociale française, offrent des conditions plus favorables que le régime général.

La pension des régimes spéciaux atteint 2 550 euros bruts mensuels selon les données de la DREES. Les écarts sont importants selon l’entreprise d’origine. Les retraités de la RATP bénéficient d’une pension de 3 705 euros, ceux d’EDF de 3 692 euros, tandis que les anciens cheminots de la SNCF perçoivent des montants comparables.

Ces niveaux de pension s’expliquent par des règles de calcul spécifiques : prise en compte des six derniers mois de salaire (au lieu des 25 meilleures années), taux de liquidation pouvant atteindre 75%, et possibilité de départ anticipé. L’âge de départ s’établit ainsi à 54,5 ans à la SNCF, 54,8 ans à la RATP et 56,9 ans dans les industries électriques et gazières.

La fonction publique : entre État et territoires

Les fonctionnaires bénéficient également de règles particulières, avec des montants variables selon leur employeur. Les fonctionnaires civils de l’État perçoivent une pension de 2 388 euros bruts mensuels, les plus élevées du secteur public.

Cette générosité relative s’explique par le mode de calcul basé sur le dernier traitement indiciaire (hors primes) et par des carrières souvent longues et régulières. Les fonctionnaires militaires touchent 1 662 euros, reflétant des carrières plus courtes et des possibilités de départ anticipé.

Les fonctionnaires territoriaux (CNRACL) affichent une pension de 1 600 euros, plus modeste mais supérieure au régime général. Ces différences illustrent la diversité des statuts et des niveaux de qualification au sein de la fonction publique française.

Le minimum de pension : filet de sécurité

Pour éviter la pauvreté des personnes âgées, plusieurs dispositifs garantissent un revenu minimum. L’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), successeur du minimum vieillesse, assure 1 034 euros mensuels à une personne seule et 1 606 euros à un couple en 2024.

Le minimum contributif, réservé aux retraités ayant cotisé au régime général, complète les petites pensions jusqu’à 713 euros mensuels pour une carrière complète. Ces dispositifs touchent environ 3,5 millions de personnes, témoignage tangible de la persistance des petites retraites en France.

La revalorisation de ces minimums suit généralement l’évolution des prix, avec parfois des coups de pouce gouvernementaux. En janvier 2024, l’ASPA a été revalorisée de 5,3%, une hausse substantielle dans un contexte inflationniste.

Les inégalités hommes femmes : un enjeu persistant

L’une des caractéristiques marquantes du système français réside dans les écarts de pension entre hommes et femmes. Les femmes perçoivent une pension de droit direct inférieure de 40% à celle des hommes, un écart qui se réduit progressivement (il atteignait 50% en 2004).

Cette situation découle de plusieurs facteurs : salaires inférieurs durant la vie active, carrières interrompues ou à temps partiel, et secteurs d'emploi moins rémunérateurs. L’écart se réduit à 28% lorsqu’on intègre les pensions de réversion, dont bénéficient majoritairement les femmes.

Les réformes successives tentent de corriger ces inégalités : majoration de durée d’assurance pour les mères, assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), ou prise en compte des périodes de chômage. Malgré ces efforts, la parité reste un objectif lointain.

Répartition par tranches de revenus : une France à plusieurs vitesses

L’analyse des montants de pension révèle une forte hétérogénéité. Selon les données disponibles, 29% des pensions de droit direct dépassent 2 000 euros bruts mensuels, soit environ 4,9 millions de retraités. À l’opposé, 30% des retraités perçoivent moins de 1 000 euros par mois.

Cette répartition reflète les inégalités de parcours professionnels. Les 10% de retraités les plus favorisés touchent 4 000 euros mensuels, quand les 10% les plus modestes ne dépassent pas 790 euros. Le rapport entre ces extrêmes atteint 1 à 5, témoignant d’une société française marquée par les écarts de revenus.

Un quart des retraités perçoit moins de 800 euros nets mensuels, tandis que 15% bénéficient de plus de 2 500 euros. Ces chiffres soulignent l’importance des dispositifs de solidarité pour les plus fragiles et questionnent la soutenabilité du système face au vieillissement démographique.

Voici la répartition détaillée par décile :

  • 10% les plus pauvres : 790 euros
  • 20% suivants : entre 790 et 1 200 euros
  • 30% médians : entre 1 200 et 1 800 euros
  • 20% aisés : entre 1 800 et 2 500 euros
  • 10% les plus riches : 4 000 euros
  • 10% ultra-favorisés : plus de 4 000 euros

Disparités territoriales : l’Île-de-France en tête

La géographie des retraites révèle des écarts significatifs selon les territoires. L’Île-de-France se distingue par des pensions supérieures à la moyenne nationale : +39% à Paris, +37% dans les Yvelines, +36% dans les Hauts-de-Seine. Cette situation s’explique par la concentration des emplois qualifiés et des hauts revenus durant la vie active.

À l’inverse, le Nord, le Nord-Est, le Massif central et les départements d’outre-mer affichent des niveaux inférieurs. Ces disparités reflètent les inégalités économiques territoriales et posent la question de l’égalité de traitement des retraités selon leur lieu de résidence.

Les retraités franciliens bénéficient d’un pouvoir d’achat supérieur, même si le coût de la vie locale peut relativiser cet avantage. Cette géographie des retraites influence les choix de mobilité des seniors et contribue aux déséquilibres territoriaux.

Évolution et perspectives d’avenir

Le système français fait face à des défis majeurs. Le vieillissement démographique modifie le rapport entre actifs et retraités : de 3,1 cotisants pour un retraité en 1975, ce ratio est tombé à 1,7 en 2021. Cette évolution pèse mécaniquement sur l’équilibre financier des régimes.

Les réformes successives tentent d’adapter le système : allongement de la durée de cotisation, recul de l’âge légal, modifications des règles de calcul. La réforme de 2023 a porté l’âge légal à 64 ans et fermé les régimes spéciaux aux nouveaux entrants.

Ces ajustements visent à préserver le niveau des pensions tout en maîtrisant les dépenses publiques. La France consacre près de 14% de son PIB aux retraites, l’un des taux les plus élevés d’Europe. Cette générosité relative a un coût budgétaire que les générations futures devront assumer.

Les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoient une baisse du taux de remplacement net à la liquidation de 75% pour les individus nés dans les années 1960 à 65% pour la génération 2000. Les retraités de 2070 pourraient connaître une baisse de niveau de vie de 25% par rapport aux retraités actuels.

Face à ce constat, plusieurs pistes sont évoquées : relèvement des cotisations, allongement supplémentaire de la durée de cotisation, ou développement de l’épargne retraite complémentaire. Chaque option soulève des questions d’équité intergénérationnelle et de justice sociale.

Le panorama des retraites françaises révèle un système complexe aux résultats contrastés. Si la pension de 1 626 euros assure un niveau de vie décent à nombre de retraités, les disparités restent importantes selon les parcours et les statuts. L’enjeu des prochaines années consistera à concilier équité, solidarité et soutenabilité financière, dans un contexte démographique qui défie les équilibres traditionnels.