Une manipulation comptable méconnue fausse depuis des années l’évaluation des dépenses françaises d’éducation, de défense et de sécurité. Derrière les 57,3 % du PIB de dépenses publiques officielles se cache une réalité plus complexe : l’État surestime systématiquement certains budgets ministériels à hauteur de près de 30 milliards d’euros. Cette distorsion, révélée par plusieurs économistes, trouve son origine dans un mécanisme comptable opaque lié aux retraites des fonctionnaires.
Le tour de passe-passe comptable qui trompe les Français
Des cotisations retraite hors normes qui cachent une subvention déguisée
Les chiffres interpellent : l’État français applique des taux de cotisation retraite de 78,3 % du salaire pour ses fonctionnaires civils, et même 126,07 % pour les militaires. Ces taux dépassent de loin les 15,45 % pratiqués dans le secteur privé. Pourquoi un tel écart ?
La réponse tient au déséquilibre démographique catastrophique du régime des fonctionnaires : seulement 1,14 actif cotise pour 1 retraité, contre 1,74 en moyenne dans les autres régimes. Cet écart de 34 % crée un gouffre financier que l’État comble discrètement en gonflant artificiellement ses cotisations employeur.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/leducation-france-depense-lon-croyait/00116277
Un mélange toxique qui fausse tous les calculs
Le problème identifié par l’Institut des politiques publiques (IPP) réside dans cette opacité : ces taux astronomiques mélangent sans distinction une vraie cotisation retraite, une subvention cachée pour combler le déficit démographique, et le financement d’avantages spéciaux.
Selon les économistes, le taux de cotisation « normal » devrait être de 34,7 %. Tout le reste – soit 18 milliards d’euros – relève en réalité d’une subvention budgétaire déguisée en cotisation sociale.
L’Éducation nationale, première victime de cette manipulation
10 milliards d’euros de budget fantôme
L’impact se révèle spectaculaire sur le premier budget de l’État. Le ministère de l’Éducation nationale verrait ses dépenses chuter de 81,3 à 70,7 milliards d’euros avec une comptabilité transparente – soit 10,6 milliards d’euros de « gonflage artificiel ».
Cette correction bouleverse également le coût par élève :
- École primaire : 724 euros de surestimation par enfant (9,37 %)
- Université : 6,53 % de majoration injustifiée
Une France qui dépense finalement moins que prévu pour ses écoles
Cette révision comptable redessine complètement la carte mondiale de l’investissement éducatif. La France, déjà mal classée pour l’école primaire, tomberait dans le quart des pays OCDE les moins dépensiers après correction.
L’investissement éducatif global passerait de 5,4 % à 5 % du PIB – juste au niveau de la moyenne OCDE. Fini le discours sur une France qui « dépense beaucoup pour peu de résultats » : elle dépense en réalité modérément pour des performances moyennes aux évaluations PISA.
Défense et sécurité également piégées par le système
Des budgets régaliens artificiellement majorés
Les ministères de la Défense et de l’Intérieur, gros employeurs de fonctionnaires d’État, subissent le même traitement. Les militaires, soumis au taux record de 126,07 %, voient leurs coûts salariaux démesurément gonflés dans les comptes publics.
Cette distorsion fausse l’appréciation des efforts budgétaires réels dans ces domaines régaliens. Elle explique en partie la controverse soulevée par François Bayrou sur un prétendu « déficit caché » des retraites publiques, même si la Cour des comptes a contesté ses chiffrages.
Une transparence budgétaire compromise depuis des années
« Cette contribution employeur manque de transparence en mélangeant cotisation normale, financement solidaire et subvention d’équilibrage, sans qu’il soit possible de les distinguer », déplore Hélène Paris du Conseil d’analyse économique.
Cette opacité nuit gravement au débat démocratique en empêchant une évaluation correcte des politiques publiques.
Les racines historiques d’une dérive budgétaire
Une compensation démographique gelée depuis des décennies
Les mécanismes de solidarité entre régimes de retraite, censés redistribuer les ressources des régimes jeunes vers les régimes vieillissants, n’ont jamais été actualisés. Ce blocage crée un manque à gagner de 18 milliards d’euros que l’État compense en cachette.
L’évolution des taux de cotisation témoigne de cette dérive : 49,9 % en 2006, 74,28 % en 2014, 78,3 % aujourd’hui pour les civils. Chaque hausse était présentée comme un ajustement technique, masquant la réalité d’une subvention croissante.
Une manipulation progressive et invisible
Cette construction s’est faite par petites touches, rendant le mécanisme moins détectable. Les hausses successives passaient pour de simples adaptations comptables, sans révéler qu’elles transformaient progressivement des cotisations en transferts budgétaires déguisés.
Quand les chiffres trompeurs faussent le débat public
L’illusion d’un investissement public massif
Cette manipulation comptable biaise fondamentalement l’analyse des performances publiques françaises. Elle entretient l’illusion d’un État dépensier dans l’éducation, la défense et la sécurité, alors que l’effort réel s’avère plus modeste.
Pour l’école notamment, cette correction change radicalement la donne : au lieu de pointer une inefficacité française face à des investissements importants, il faudrait plutôt s’interroger sur la sous-dotation relative de certains niveaux d’enseignement.
Un enjeu démocratique majeur méconnu
Au-delà des aspects techniques, cette question touche au cœur de la démocratie. Comment les citoyens peuvent-ils évaluer l’action publique avec des chiffres faussés ? Comment les parlementaires peuvent-ils voter les budgets en connaissance de cause ?
La transparence budgétaire constitue un prérequis démocratique que cette manipulation comptable compromet gravement.
Les défis d’une remise à plat nécessaire
Une réforme comptable incontournable mais délicate
Corriger cette distorsion exigerait de séparer clairement les vrais coûts salariaux des transferts budgétaires. Cela supposerait d’afficher :
- Des cotisations retraite normalisées à 34,7 %
- Une ligne budgétaire spécifique pour la subvention démographique (18 milliards)
- Un financement transparent des avantages professionnels (7,8 milliards)
Des résistances politiques prévisibles
Une telle réforme provoquerait des remous, car elle ferait apparaître une « baisse » artificielle des budgets ministériels, même si l’effort global resterait identique. Elle bouleverserait aussi des habitudes comptables ancrées depuis des décennies.
Pourtant, cette transparence s’impose pour restaurer la confiance dans l’action publique et permettre des choix budgétaires éclairés.
Une problématique qui dépasse nos frontières
L’Europe face à ses propres incohérences comptables
La France n’est pas seule confrontée à ces biais comptables. Les méthodes de comptabilisation des régimes de retraite varient considérablement selon que les pays ont opté pour des systèmes publics par répartition ou des formules mixtes avec fonds privés.
Ces différences compliquent les comparaisons européennes et alimentent parfois des polémiques sur les niveaux respectifs de dépenses publiques. (Source : https://www.fipeco.fr/fiche/Le-rapport-des-d%C3%A9penses-publiques-au-PIB-est-il-comparable-entre-les-pays-%3F)
Vers des standards comptables harmonisés
Cette situation plaide pour une harmonisation européenne des méthodes comptables publiques. Eurostat travaille dans ce sens, mais les résistances nationales freinent les avancées. Une comptabilité publique plus transparente et harmonisée permettrait des débats mieux informés sur l’efficacité comparée des politiques européennes.
Cette révélation sur la surestimation des dépenses publiques françaises éclaire d’un jour nouveau les débats sur l’efficacité de l’État. Elle montre surtout l’urgence d’une transparence comptable accrue pour permettre des choix démocratiques éclairés. Car derrière les chiffres se cachent des enjeux politiques majeurs : comment évaluer justement l’action publique sans données fiables ?

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque