Commerce France-USA : quels secteurs sont les plus vulnérables ?

Fin juillet 2025, l’Union européenne et les États-Unis ont conclu un accord établissant des taxes douanières de 15% sur la majorité des produits européens exportés vers le marché américain. Cet accord, annoncé par Donald Trump et Ursula von der Leyen depuis l’Écosse, évite le pire scénario initialement redouté (des taxes à 30%), mais représente néanmoins un bouleversement majeur pour de nombreux secteurs d’exportation français.

Selon une étude du département des statistiques de la douane française publiée en mai 2025, plus de 80% des exportations françaises vers les États-Unis seront taxées à hauteur de 15%. Cela représente un surcoût de 4,5 milliards d’euros pour les entreprises exportatrices hexagonales. (Source : Douanes françaises)

Quels sont les secteurs français les plus vulnérables face à cette nouvelle donne commerciale ? Examinons en détail les conséquences de cet accord sur les principales filières exportatrices.

L’aéronautique : une exemption vitale pour un secteur stratégique

L’industrie aéronautique française bénéficie d’une exemption majeure dans ce nouvel accord. Les taxes sur les équipements d’aéronautique sont ramenées à zéro, un soulagement pour un secteur qui représentait en 2023 environ 7,9 milliards d’euros d’exportations françaises vers les États-Unis, soit 17,6% du total.

Cette exemption est particulièrement importante car le secteur était précédemment soumis à une surtaxe de 10% sur l’ensemble des équipements. À cela s’ajoutait une taxe de 50% sur les importations d’aluminium et d’acier, matériaux essentiels pour la construction aéronautique.

Pour Airbus et ses sous-traitants, cette exemption représente une véritable bouffée d’oxygène dans un marché américain fortement concurrentiel dominé par Boeing.

Le luxe et les cosmétiques : les fleurons français directement impactés

Le secteur du luxe, symbole du savoir-faire français à l’international, va subir de plein fouet les nouveaux tarifs douaniers. Les marques comme LVMH, Kering (Gucci, Balenciaga) ou L’Oréal vont voir leurs produits taxés à hauteur de 15%.

Pour LVMH, qui réalise un quart de ses ventes aux États-Unis, les stratégies d’adaptation sont déjà à l’œuvre. Le groupe a annoncé l’ouverture d’un quatrième atelier Louis Vuitton au Texas, illustrant sa volonté de relocaliser une partie de sa production sur le sol américain pour contourner ces barrières tarifaires. (Source : Le Monde)

La situation est particulièrement préoccupante pour les cosmétiques français. L’Oréal, qui réalisait 38% de son chiffre d’affaires aux États-Unis en 2024, envisage également de relocaliser une partie de sa production. Selon la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), l’impact pourrait se traduire par une perte annuelle de 300 millions d’euros d’exportations et menacerait jusqu’à 5000 emplois en France. (Source : TF1 Info)

Vins et spiritueux : une filière dans l’incertitude

Le secteur des vins et spiritueux français, qui réalise 25% de ses exportations aux États-Unis (soit environ 3,9 milliards d’euros), reste dans une zone d’incertitude. L’accord-cadre UE-USA ne précise pas clairement le sort réservé à ces produits, indiquant simplement que « les détails seront réglés dans les semaines à venir ».

La filière, qui avait déjà été secouée par des menaces antérieures de taxes à 200%, espère encore obtenir une exemption totale (0%). L’application d’un droit de douane de 15% aurait des conséquences majeures. Marzia Varvaglione, présidente du Comité Européen des Entreprises du Vin (CEEV), souligne que ces 15% de droits additionnels, combinés aux 15% d’effets de change défavorables, pourraient simplement exclure les vins et spiritueux français du marché américain.(Source : Vitisphere)

Pour des régions comme Bordeaux, qui réalise 20% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, l’enjeu est crucial. Philippe Tapie, président de Bordeaux Négoce, résume ainsi la situation : « à 10% ou 15% de droits de douane, on trouvera des solutions. Mais 30%, non. C’est la fin de l’histoire ».

L’industrie pharmaceutique : un secteur clé nouvellement taxé

Contre toute attente, les produits pharmaceutiques, jusqu’ici exemptés de droits de douane, seront désormais soumis au taux de 15%. Il s’agit pourtant du secteur le plus important en termes d’exportations européennes vers les États-Unis. Il représente 22,5% du total des biens exportés, soit près de 120 milliards d’euros en 2024.

Pour la France, ce secteur constituait en 2023 la deuxième catégorie de produits exportés vers les États-Unis après l’aéronautique, avec 4,5 milliards d’euros. L’impact de cette nouvelle taxation reste à évaluer précisément, mais il risque de fragiliser la compétitivité des laboratoires français face à leurs concurrents américains.

Automobile : un soulagement relatif

L’industrie automobile française accueille l’accord avec un soulagement mesuré. La taxation des véhicules européens passe de 27,5% (taux appliqué depuis avril) à 15%. Cette réduction est importante pour des groupes comme Stellantis (ex-PSA), même si ce secteur ne représente qu’environ 4% des exportations françaises vers les États-Unis. (Source : Le Point)

Malgré cette amélioration, le secteur reste significativement plus taxé qu’avant le retour au pouvoir de Donald Trump, lorsque les droits n’étaient que de 2,5%. Les constructeurs français pourraient être contraints de revoir leur stratégie commerciale sur le marché américain, en privilégiant peut-être la production locale via leurs usines nord-américaines.

Les fromages et produits laitiers : des exportations sous pression

La filière fromagère française a exporté pour 342 millions d’euros de produits laitiers vers les États-Unis en 2024. Elle s’inquiète également des conséquences de l’accord. Les fromages, qui constituaient déjà un marché difficile en raison des restrictions sanitaires américaines (interdiction des fromages au lait cru), pourraient être soumis au taux de 15%, contre 10% précédemment.

Pour les fromages français AOC et AOP, souvent positionnés sur des segments premium, cette augmentation risque de réduire considérablement leur accessibilité sur le marché américain. Les consommateurs américains pourraient se tourner vers des alternatives locales ou d’autres pays moins affectés par ces barrières tarifaires.

Semi-conducteurs et électronique : une nouvelle taxation stratégique

Le secteur des semi-conducteurs et de l’électronique passe d’une exemption totale à une taxation de 15%. Cette décision s’inscrit dans la stratégie américaine visant à renforcer sa souveraineté technologique. Les entreprises européennes du secteur devront désormais composer avec ce nouvel obstacle tarifaire dans leurs échanges avec les États-Unis.

Pour l’industrie française de l’électronique, relativement modeste comparée à ses homologues allemande ou néerlandaise, cette mesure pourrait toutefois représenter une opportunité de développer des partenariats avec des fabricants américains cherchant à sécuriser leurs approvisionnements.

Stratégies d’adaptation : entre relocalisation et diversification

Face à ce nouveau contexte commercial, les entreprises françaises élaborent différentes stratégies d’adaptation:

  1. La relocalisation de la production aux États-Unis, comme l’illustre l’exemple de LVMH avec son nouvel atelier Louis Vuitton au Texas. Le groupe STMicroelectronics envisage également de renforcer ses capacités de production sur le sol américain.
  2. La répercussion des coûts sur les prix, stratégie adoptée par certaines maisons de champagne qui misent sur le caractère luxueux et incontournable de leurs produits. Moët Hennessy a ainsi annoncé une hausse contrôlée de ses tarifs pour absorber partiellement l’impact des droits de douane.
  3. La diversification des marchés d’exportation, comme le fait L’Oréal qui accélère son développement en Asie du Sud-Est et en Inde. Ursula von der Leyen encourage cette approche en évoquant de nouveaux accords commerciaux avec l’Indonésie, l’Inde et le Mercosur.
  4. L’optimisation des chaînes logistiques, à l’image de Sanofi qui réorganise sa distribution mondiale pour minimiser l’impact des barrières douanières.

Un accord déséquilibré qui suscite de vives critiques

L’accord UE-USA a provoqué de nombreuses réactions négatives en France. Plusieurs responsables politiques et économiques le qualifient de « déséquilibré » et de « jour sombre » pour le commerce européen. En effet, si les exportations européennes sont largement taxées à 15%, les exportations américaines vers l’Europe ne subissent pas de hausses équivalentes.

De plus, l’Union européenne s’est engagée à procéder à des achats stratégiques d’une valeur de 750 milliards de dollars, couvrant notamment les énergies fossiles et les semi-conducteurs. Cet engagement soulève des interrogations quant à sa mise en œuvre concrète, la Commission européenne ne disposant pas des pouvoirs nécessaires pour passer directement de telles commandes.

L’UE s’est également engagée à investir 600 milliards de dollars aux États-Unis et à acheter des équipements militaires américains pour « quelques centaines de milliards de dollars », selon Donald Trump. Ces concessions importantes témoignent d’un rapport de force clairement favorable aux États-Unis dans ces négociations.

Perspectives : s’adapter à une nouvelle ère commerciale

L’accord commercial UE-USA de juillet 2025 marque l’avènement d’un protectionnisme américain décomplexé qui pourrait s’inscrire dans la durée. Pour les exportateurs français, l’enjeu est désormais de s’adapter à cette nouvelle réalité tout en explorant de nouvelles opportunités sur d’autres marchés.

Si certains secteurs comme l’aéronautique bénéficient d’exemptions, d’autres comme le luxe, les vins et spiritueux ou l’industrie pharmaceutique doivent repenser leur approche du marché américain. Cette reconfiguration des échanges commerciaux s’inscrit dans un contexte mondial de fragmentation des chaînes de valeur et de régionalisation des échanges.

Les semaines à venir seront cruciales, notamment pour préciser le sort réservé aux secteurs encore en suspens comme les vins et spiritueux. Dans ce paysage commercial transformé, la capacité d’adaptation et d’innovation des entreprises françaises sera déterminante pour préserver leur présence sur le premier marché mondial et développer de nouvelles voies de croissance internationale.