Le monde du financement participatif français traverse une zone de turbulences sans précédent. Derrière les chiffres qui s’affolent et les fermetures qui se multiplient, c’est tout un écosystème qui doit se réinventer face à une crise aux multiples visages. Entre défauts de paiement en série et effritement de la confiance des investisseurs, les plateformes naviguent en eaux troubles. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, existe-t-il une lumière au bout du tunnel ?
Une vague de faillites qui secoue le secteur
L’année 2024 restera comme un tournant pour le crowdfunding hexagonal. Plusieurs poids lourds du secteur ont jeté l’éponge, laissant derrière eux des milliers d’investisseurs dans l’incertitude. Prenez Koregraf, pionnier du crowdfunding immobilier depuis 2014. Sa fermeture brutale en avril 2025 a créé un séisme, avec près de 160 millions d’euros bloqués dans 198 projets en cours. La chute fut vertigineuse : collecte divisée par deux en un an, taux de défaut qui s'emballe… Un scénario catastrophe devenu malheureusement trop courant.
La liste des victimes s’allonge chaque mois. October, géant du secteur, a dû se recentrer sur l’Hexagone après avoir cédé sa technologie à Sopra Banking. WeShareBonds et WiSEED, autres figures historiques, ont mis leurs activités en pause. Quant à uTip et Zeste, elles ont purement et simplement disparu du radar. Même les banques n’y croient plus : la Banque Postale a préféré céder Lendopolis à Lendosphere fin 2024. Un aveu d’échec qui en dit long sur la gravité de la situation.
Les chiffres qui font froid dans le dos
Le baromètre 2024 du crowdfunding dresse un constat implacable. Après une première baisse de 11% en 2023, les montants collectés ont encore chuté de 17,1% l’an dernier. À peine 1,7 milliard d’euros récoltés, alors que le secteur affichait des croissances à deux chiffres il y a peu. Le crowdfunding immobilier, autrefois moteur du secteur, s’effondre littéralement : -25,8% en 2024. Il ne représente plus que la moitié du marché, contre près de 70% deux ans plus tôt.
Mais le plus inquiétant réside dans l’explosion des défauts de paiement. Imaginez : 15 à 20% des projets immobiliers accusent des retards supérieurs à six mois. Entre 4 et 6% des PME financées via crowdfunding tombent en procédure collective. Quand on creuse, les chiffres deviennent carrément angoissants : 18,17% des projets immobiliers présentent des défauts majeurs. En valeur, ce taux grimpe à 21,69%. Autant dire qu’un investisseur sur cinq risque de se brûler les doigts.
Les racines d’une crise multifactorielle
Plusieurs tempêtes se sont conjuguées pour mettre le secteur à genoux. L’immobilier, pilier du crowdfunding, traverse sa pire crise depuis des décennies. La flambée des taux d’intérêt a tout chamboulé : pouvoir d’achat des acquéreurs en berne, coûts de construction qui s’envolent… Résultat ? Les promoteurs peinent à vendre leurs biens aux prix prévus, et les remboursements aux investisseurs tombent en cascade.
Le contexte économique n’arrange rien. Avec 65 000 faillites d’entreprises en 2024 selon la Banque de France, l’ambiance n’est pas à l’investissement risqué. La dissolution surprise de l’Assemblée nationale en juin 2024 n’a fait qu’ajouter à l’incertitude générale. Comme si cela ne suffisait pas, les nouvelles règles européennes (PSFP) sont venues compliquer la donne depuis novembre 2023. Exigences accrues en fonds propres, gouvernance renforcée… Autant de contraintes qui pèsent lourd sur des plateformes déjà fragilisées.
Investisseurs : comment se protéger dans ce marasme ?
L’AMF tire la sonnette d’alarme : avec la disparition des plateformes, les investisseurs se retrouvent souvent seuls face aux porteurs de projets en difficulté. Les fameux plans de continuité d’activité, théoriquement obligatoires, restent lettre morte dans bien des cas. L’exemple Koregraf est édifiant : sur 198 projets en cours, seule la moitié pouvait être considérée comme « saine ». Les autres ? Retards interminables, procédures judiciaires coûteuses… Un vrai parcours du combattant pour récupérer son argent.
Benjamin Wattinne, patron de Sowefund, résume d’une phrase cette spirale infernale : « Les grosses gamelles ne font pas du bien à notre écosystème. » La confiance, ce carburant essentiel du crowdfunding, s’évapore peu à peu. Moins d’investisseurs, des montants plus faibles… Un cercle vicieux qui menace la survie même du modèle.
L’adaptation douloureuse des survivants
Face à la tourmente, les plateformes rescapées durcissent drastiquement leurs critères. Finie l’époque où presque tout projet trouvait preneur. Aujourd’hui, seuls 10% des dossiers passent la barre. Exigences de pré-commercialisation renforcées, santé financière des promoteurs scrutée à la loupe, garanties systématiques (hypothèques, fiducies)… La prudence est devenue reine.
Le marché se concentre inexorablement. Sur les 42 plateformes agréées PSFP en 2023, seulement 14 nouvelles ont obtenu le sésame en 2024. Les plus fragiles disparaissent, les plus solides absorbent les morceaux choisis. Une sélection naturelle impitoyable, mais nécessaire pour assainir le secteur.
Et demain ? Quelques lueurs d’espoir
Malgré ce tableau sombre, certains segments résistent vaillamment. Le crowdfunding en don caritatif continue de progresser, avec plus de 160 000 projets financés. Les énergies renouvelables limitent la casse (-4% seulement en 2024). Et de nouvelles niches émergent : art, santé, sport… Autant de pistes pour redynamiser un secteur à la croisée des chemins.
La route vers la rédemption s’annonce longue. Reconstruire la confiance des investisseurs prendra du temps et des résultats tangibles. Mais une chose est sûre : le crowdfunding français, s’il survit à cette purge, en ressortira transformé, probablement plus mature et professionnalisé. Reste à savoir combien de plateformes seront encore là pour écrire les prochains chapitres de cette histoire mouvementée.

Yannick est expert des questions économiques et sociales. Avec un esprit libre et critique, il s’attache à fournir des informations fiables, accessibles et nuancées. Son objectif : aider chacun à comprendre les enjeux de société et à se forger sa propre opinion, loin des discours formatés.