Dans un geste de solidarité internationale, la France a choisi d’aider son partenaire méditerranéen à faire face à l’une de ses crises les plus visibles. Mais derrière cette générosité affichée se cachent des réalités plus complexes qu’il n’y paraît.
Un coup de pouce bienvenu pour un réseau tunisien à bout de souffle
Imaginez-vous attendre un bus qui ne vient jamais, ou pire, qui arrive bondé à craquer. C’est le quotidien de millions de Tunisiens depuis des années. Le réseau de transport public du pays est au bord de l’asphyxie, avec des véhicules souvent âgés de plus de vingt ans qui tombent en panne régulièrement.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en cinq ans seulement, Transtu, l’opérateur historique, a perdu près de 36 millions de passagers. Une hémorragie qui en dit long sur la dégradation des conditions de transport. Les usagers se tournent massivement vers les alternatives privées, quand ils le peuvent.
Promesse tenue ! Le 2ème lot de #bus offerts par la @iledefrance à la #TRANSTU est arrivé à bon port ce mercredi 25 juin.
165 bus fabriqués essentiellement en seront progressivement mis en circulation sur le Grand Tunis. pic.twitter.com/6F7rTHQfAm— La France en Tunisie (@FranceTn) June 26, 2025
Des bus qui arrivent à point nommé
Les 165 bus offerts tombent à pic. Le premier lot de 80 véhicules est arrivé en avril 2025, suivi par 85 autres en juin. Une bouffée d’oxygène pour un système à genoux, mais qui ne résoudra pas tout. Le gouvernement tunisien le sait bien, qui planifie parallèlement l’achat de 300 bus neufs à la Chine.
Pourquoi la France fait-elle ce geste ?
La réponse est moins simple qu’un simple élan de générosité. Plusieurs facteurs expliquent cette décision, où se mêlent calcul économique et stratégie diplomatique.
Des bus conçus pour les Jeux, inutilisables en France
Ces véhicules avaient une vie bien particulière avant d’atterrir en Tunisie. Conçus spécialement pour transporter les para-athlètes lors des JO de Paris 2024, ils ne répondaient plus aux normes françaises après l’événement. Trop vieux, ils devaient être retirés de la circulation.
Plutôt que de payer leur démolition – une opération coûteuse – la France a préféré leur offrir une seconde vie. Une solution pragmatique, mais qui fait porter à la Tunisie le poids du transport et de la maintenance.
Un coup de projecteur sur la coopération franco-tunisienne
Ne nous y trompons pas : ce don s’inscrit dans une relation bilatérale ancienne et complexe. La France reste le premier partenaire économique de la Tunisie, absorbant près du quart de ses exportations. Ce geste symbolique renforce les liens tout en mettant en avant l’expertise française en matière de mobilité durable.
Une pratique diplomatique bien rodée
Ce n’est pas la première fois que la France procède ainsi. En 2022, 50 bus partaient vers le Liban. En 2024, c’était au tour de l’Ukraine de recevoir trois véhicules de Reims. Chaque fois, le même schéma : se débarrasser à moindre coût d’équipements devenus inutiles tout en soignant son image à l’international.
Des bus adaptés aux besoins tunisiens ?
Ironie du sort, ces véhicules initialement conçus pour les personnes à mobilité réduite pourraient bien trouver en Tunisie une utilité inattendue. Avec leurs rampes automatiques et leurs systèmes de ventilation performants, ils représentent une nette amélioration par rapport au parc existant.
Reste à savoir si ces équipements sophistiqués pourront être maintenus en état de marche sur le long terme. La question des pièces détachées et du savoir-faire technique se posera rapidement.
Un don qui pose question
Derrière les communiqués officiels se cache une réalité plus nuancée. Si l’intention est louable, certains pourraient voir dans cette opération une façon élégante de transférer ses problèmes à un pays moins exigeant sur les normes environnementales et techniques.
La Tunisie, quant à elle, y trouve son compte. Ces 165 bus représentent une économie substantielle dans un contexte budgétaire tendu. Mais ils ne sont qu’une goutte d’eau face à l’ampleur des besoins. Le pays doit toujours trouver 700 autres bus d’occasion pour compléter son parc.
Vers une coopération plus équilibrée ?
L’avenir dira si ce don marque le début d’un véritable partenariat technique ou reste un geste isolé. La Tunisie montre d’ailleurs sa volonté de diversifier ses approvisionnements, comme en témoigne sa commande massive à la Chine.
Une chose est sûre : dans le grand jeu des relations internationales, même les vieux bus peuvent devenir des pions sur l’échiquier diplomatique. La France y gagne une image positive, la Tunisie un semblant de solution. Quant aux usagers tunisiens, ils espèrent surtout que ces véhicules tiendront la route plus longtemps que les précédents.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque