Immigration : la France d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui

Comment un pays transforme-t-il son visage en quelques décennies ? L’immigration en France a connu une métamorphose spectaculaire depuis les années 1960, bouleversant les origines géographiques, les motivations et les parcours d’intégration. Cette évolution ne s’est pas faite en ligne droite, mais au gré des soubresauts économiques, des changements politiques et des réalités sociales qui ont marqué la France contemporaine.

Les origines géographiques : d’une immigration européenne à une immigration africaine

Imaginez la France des années 1960. Dans les usines et sur les chantiers, les accents italiens, espagnols et portugais dominent largement. À l’époque, près d’un immigré sur quatre venait d’Italie. Les Espagnols représentaient plus de 20% des arrivants, tandis que les Portugais, bien que moins nombreux, allaient connaître une vague migratoire sans précédent dans les années suivantes.

Le paysage actuel n’a plus grand-chose à voir. Aujourd’hui, c’est l’Afrique qui fournit près de la moitié des nouveaux arrivants. Le Maghreb en particulier pèse lourd dans les statistiques : Algérie, Maroc et Tunisie représentent à eux trois près de 40% des titres de séjour délivrés. Les chiffres officiels parlent d’eux-mêmes : plus de 600 000 Algériens, un nombre équivalent de Marocains et près de 300 000 Tunisiens vivent aujourd’hui en France.

Une transition progressive mais marquée

Cette bascule ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle s’est opérée progressivement, au rythme des indépendances africaines, de la fermeture des frontières aux travailleurs européens et des dynamiques familiales qui ont pris le relais. Qui aurait pu prédire, dans les années 1960, que les petits villages portugais se videraient au profit des banlieues parisiennes ?

Les motivations : du travail vers le regroupement familial

Dans les mémoires collectives, les images d’ouvriers immigrés des Trente Glorieuses restent gravées. Ces hommes souvent seuls, recrutés directement par l’Office national d’immigration, débarquaient avec l’espoir de travailler quelques années avant de retourner au pays. La réalité fut souvent différente.

Le tournant de 1974 change la donne. L’arrêt officiel de l’immigration de travail bouleverse les flux. Progressivement, le regroupement familial devient la principale porte d’entrée. Aujourd’hui, il représente près d’un tiers des titres de séjour délivrés, contre seulement 14% pour l’immigration professionnelle.

Des parcours qui se complexifient

Derrière ces chiffres se cachent des réalités humaines complexes. Les motivations se sont diversifiées : études, demandes d’asile, raisons humanitaires… La France attire toujours, mais pour des raisons bien différentes qu’à l’époque des usines Renault en plein boom.

Les profils et qualifications : une évolution contrastée

Les premiers immigrés venaient souvent de campagnes reculées, avec peu de formation. Les Portugais des années 1960 étaient majoritairement des ruraux sans qualification, prêts à accepter les travaux les plus pénibles. Aujourd’hui, le tableau est plus nuancé.

Prenons l’exemple des Maghrébins : plus de la moitié des nouveaux arrivants sont diplômés du supérieur. Des jeunes souvent, avec une légère majorité de femmes. Pourtant, dans l’ensemble, la France attire moins de cerveaux que certains de ses voisins européens. Un paradoxe qui interroge.

Les conditions de logement : des bidonvilles aux politiques d’intégration

Qui se souvient des bidonvilles de Nanterre ou de Saint-Denis ? Dans les années 1960, près de la moitié des Algériens vivaient dans ces habitats de fortune. À Saint-Denis, le bidonville des Francs-Moisins abritait 2000 personnes, majoritairement portugaises mais aussi espagnoles et algériennes.

L’État réagit en créant des foyers de travailleurs migrants. Derrière l’aspect humanitaire se cachait aussi une volonté de contrôle. Ces foyers, gérés par d’anciens militaires, organisaient la vie des immigrés jusque dans ses moindres détails.

Aujourd’hui, la situation s’est améliorée, même si des inégalités persistent. Les bidonvilles ont officiellement disparu dans les années 1970, remplacés par des logements sociaux. Les anciens foyers ont été requalifiés en résidences sociales dans les années 1990. Un progrès, certes, mais qui ne doit pas masquer les difficultés actuelles.

L’intégration : d’une assimilation rapide à des défis contemporains

Dans les années 1960, l’intégration passait essentiellement par l’usine et l’école. Pour les Européens, une ou deux générations suffisaient souvent. La nationalité française était accordée plus facilement : un immigré sur deux l’obtenait entre 1945 et 1974.

Aujourd’hui, le processus est plus complexe. Le chômage des immigrés frôle les 11%, presque le double de la moyenne nationale. Les questions identitaires prennent le devant de la scène politique. L’intégration n’est plus un processus naturel, mais un objet de débats et de politiques publiques spécifiques.

Vers une immigration de peuplement

Le constat s’impose : l’immigration temporaire de travail a laissé place à une immigration d’installation. Les 320 000 arrivées légales de 2023 représentent une hausse spectaculaire par rapport au début du siècle. Les motifs se sont diversifiés, les nationalités aussi.

Cette évolution pose des défis inédits. Comment intégrer durablement ces populations ? Comment gérer la diversité culturelle tout maintenant la cohésion sociale ? Autant de questions qui continueront à façonner le visage de la France dans les décennies à venir.