Chaque été, le même constat s’impose en France. Les flammes ravagent nos forêts et les images de Canadairs rouge et jaune tournent en boucle sur nos écrans. Mais derrière ces symboles de la lutte contre les incendies se cache une réalité préoccupante : la France ne dispose que de douze de ces précieux bombardiers d’eau, tous vieillissants, et ne parvient pas à en commander davantage malgré l’urgence climatique.
L’incendie géant qui a ravagé plus de 16 000 hectares dans l’Aude début août 2025, faisant un mort et plusieurs blessés, a une nouvelle fois mis en lumière cette problématique cruciale. France 24 révèle que la multiplication des feux montre que notre dispositif aérien atteint ses limites structurelles.
Une flotte française insuffisante et vieillissante
La France dispose actuellement d’une flotte aérienne de la Sécurité civile comprenant 23 avions, dont seulement 12 Canadair CL-415 capables de larguer environ 6 000 litres d’eau chacun. Ces appareils, tous basés à Nîmes-Garons, affichent une moyenne d’âge de 30 ans, le dernier ayant été livré en 2007. Le Monde souligne que cette situation critique conduit régulièrement à l’immobilisation d’appareils pour maintenance.
La flotte se complète avec huit avions Dash d’une capacité de 10 000 litres, trois Beechcraft d’investigation et une quarantaine d’hélicoptères. Malgré la location saisonnière de 16 appareils supplémentaires, cette capacité ne permet de traiter simultanément que trois feux d’envergure supérieure à 500 hectares, d’après la Direction générale de la Sécurité civile.
Le rapport parlementaire de juillet 2025, mené par les députés Sophie Pantel et Damien Maudet, dresse un constat alarmant. L’Assemblée nationale révèle que « La flotte n’est plus adaptée aux besoins, lesquels augmentent fortement sous l’effet du réchauffement climatique ». Certains jours de l’été 2024, aucun Canadair n’était en état de voler.
Le monopole canadien, un frein majeur aux commandes
Le principal obstacle à l’expansion de la flotte française réside dans la situation de monopole de l’entreprise canadienne De Havilland Canada. Cette société, qui a racheté les droits de production à Bombardier en 2019 après une interruption de dix ans, contrôle intégralement le marché mondial des bombardiers d’eau amphibies de cette capacité.
Cette position dominante a permis à De Havilland de mener des négociations particulièrement difficiles avec les États européens. 20 Minutes explique que les discussions entamées dès 2018 ont traîné en longueur, le contrat français n’étant finalement signé qu’en août 2024.
Le monopole pose plusieurs problèmes structurels. D’une part, il limite la concurrence et maintient les prix à un niveau élevé – chaque Canadair coûte entre 60 et 64 millions d’euros selon Nord Littoral. D’autre part, le constructeur peine à relancer ses chaînes de production après dix années d’arrêt et fait face à un carnet de commandes explosant au niveau mondial.
Des retards de livraison qui s’accumulent
Les promesses d’Emmanuel Macron de 2022 tardent à se concrétiser. Le président avait annoncé le renouvellement des douze Canadairs et l’acquisition de quatre appareils supplémentaires d’ici 2027 après l’été dramatique marqué par 70 000 hectares brûlés. Mais la réalité rattrape ces ambitions.
Mediapart révèle que seuls deux nouveaux appareils ont été fermement commandés, avec une option sur deux autres. Plus préoccupant encore, ces premiers Canadairs ne seront livrés qu’en 2028 au plus tôt, soit six années après les annonces présidentielles.
Le gouvernement de Gabriel Attal avait même annulé par décret, fin 2024, les crédits prévus pour les deux Canadairs supplémentaires. Il aura fallu attendre juillet 2025 et l’intervention du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau pour relancer timidement le processus, avec une livraison hypothétique des deux appareils additionnels vers 2032.
Ces retards s’expliquent par les difficultés techniques de De Havilland à relancer sa production. L’entreprise, qui n’a jamais fabriqué elle-même ces appareils auparavant, doit reconstituer un savoir-faire industriel complexe. Les experts du secteur aéronautique expriment de sérieux doutes sur sa capacité à respecter les échéances annoncées.
L’obstacle financier dans un contexte budgétaire contraint
Au-delà des questions industrielles, le renouvellement de la flotte se heurte aux réalités budgétaires. Chaque Canadair représente un investissement de 60 à 64 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les frais de maintenance et de formation des équipages. Pour une flotte de seize appareils, l’investissement total dépasserait le milliard d’euros.
Dans un contexte où le gouvernement cherche à réduire massivement la dépense publique, ces sommes posent question. La Cour des comptes s’inquiétait déjà en 2022 de « l’absence de vision stratégique » concernant le renouvellement des moyens aériens de la Sécurité civile.
Cette contrainte budgétaire pousse l’État à privilégier les locations saisonnières, solution plus flexible mais nettement plus coûteuse à long terme. 20 Minutes chiffre l’investissement cumulé en locations depuis 2020 à plus de 106 millions d’euros.
Les problèmes opérationnels d’une flotte usée
L’âge avancé des Canadairs français génère des difficultés opérationnelles croissantes. Ces appareils, sollicités intensivement notamment en eau de mer, subissent une corrosion accélérée alors qu’ils avaient été originellement conçus pour l’eau douce. La pénurie mondiale de pièces détachées, aucun appareil n’ayant été construit entre 2015 et aujourd’hui, complique encore leur maintenance.
Les conséquences se ressentent directement sur le terrain. Lors des récents incendies de l’Aude et des Bouches-du-Rhône, les Canadairs ont dû être redéployés d’un foyer à l’autre, privant certaines zones de cette précieuse couverture aérienne. France 24 rapporte ainsi que les pompiers du Gard ont dû lutter sans appui aérien contre un feu de 430 hectares, les avions étant mobilisés ailleurs.
Cette situation illustre la limite structurelle du dispositif français. Selon l’ex-marin pompier David Casolaro, cité par 20 Minutes, « le problème, c’est que les feux de forêt ne sont plus concentrés que dans le Sud, et que les avions sont sollicités un peu partout ».
Les alternatives émergentes face au monopole canadien
Face aux difficultés d’approvisionnement, des solutions alternatives commencent à émerger. Plusieurs start-up françaises et des industriels comme Airbus développent des concepts innovants de bombardiers d’eau, cherchant à concurrencer le monopole canadien.
Ces projets, encore au stade expérimental, proposent notamment la conversion d’avions civils existants ou le développement de technologies de largage plus modernes. Cependant, ces alternatives nécessiteront encore plusieurs années de développement et de certification avant de pouvoir équiper la Sécurité civile.
La France explore également la coopération européenne, plusieurs pays méditerranéens étant confrontés aux mêmes défis. Un mécanisme de solidarité existe déjà au niveau communautaire, permettant le partage temporaire des moyens aériens entre États membres.
L’urgence climatique impose un changement d’échelle
Les experts sont unanimes : le changement climatique va multiplier les épisodes de feux extrêmes, nécessitant une montée en puissance rapide des moyens de lutte aérienne. Sébastien Lahaye, spécialiste des feux de forêt interrogé par France 24, le résume ainsi : « Avec le changement climatique, on se rend compte que cette limite va être atteinte de plus en plus fréquemment ».
Le député écologiste Hendrik Davi avertit que « le risque incendie va exploser avec le changement climatique et notre matériel est sous-dimensionné pour y faire face ». Cette réalité impose une révision complète de la stratégie française de lutte contre les incendies.
Le rapport parlementaire de juillet 2025 recommande donc d’investir massivement et rapidement dans le renouvellement des moyens aériens, tout en développant une vision stratégique claire sur les besoins futurs. Les députés appellent notamment à « clarifier rapidement la stratégie de renouvellement de la flotte des Canadairs quant au nombre d’appareils commandés et leur calendrier de livraison ».
La problématique des Canadairs révèle ainsi les fragilités de la France face aux défis climatiques. Entre monopole industriel, contraintes budgétaires et urgence opérationnelle, l’État doit désormais arbitrer rapidement pour éviter que cette crise ne se transforme en catastrophe lors des prochains étés caniculaires.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque