Le 15 juillet 2025, Manuel Bompard, coordinateur de La France Insoumise, a publié un tweet polémique sur l’évolution de la charge de la dette publique française. Contestant les affirmations de journalistes sur BFM TV, il a partagé des données de l’INSEE montrant l’évolution de cette charge depuis 1980.
Cette polémique soulève une question cruciale : la France paie-t-elle réellement moins cher sa dette en 2025 qu’en 2020 ? L’analyse des données officielles révèle une réalité bien différente de ce que suggère le député.
Bonsoir @gaetanemeslin et @LeopoldAudebert,
Comme convenu ce soir sur @BFMTV, je vous envoie l’évolution de la charge de la dette en France depuis 1980 selon l’@InseeFr.
Puisque vous avez contesté en direct mes propos sur le fait que la charge de la dette était plus faible… pic.twitter.com/sghBHA1eN1
— Manuel Bompard (@mbompard) July 15, 2025
Une explosion des charges d’intérêts entre 2020 et 2025
Contrairement aux affirmations de Manuel Bompard, les données officielles montrent une augmentation spectaculaire du coût de la dette publique française. Selon les rapports de la Cour des comptes, les charges d’intérêts de la dette publique sont passées de 29,5 milliards d’euros en 2020 à 67 milliards d’euros en 2025, soit une hausse de 127%.
Cette explosion s’explique principalement par le retournement brutal de l’environnement monétaire. En 2020, la France bénéficiait d’un contexte historiquement favorable avec des taux d’intérêt négatifs. L’Agence France Trésor rapporte que pour la première fois de l’histoire, le coût de financement des émissions de dette à moyen et long terme était négatif.
Le grand retournement monétaire de 2022-2025
L’année 2022 a marqué un tournant décisif dans la politique monétaire européenne. La Banque centrale européenne a relevé ses taux directeurs pour la première fois depuis 2011, passant de 0% en 2020 à 2,15% en 2025. Cette remontée, destinée à lutter contre l’inflation, a eu des répercussions immédiates sur le coût de financement de l’État français.
L’évolution des taux des obligations d’État à 10 ans (OAT) illustre parfaitement cette transformation. Selon la Caisse des dépôts, le taux de l’OAT 10 ans a chuté de 0,12% fin 2019 à -0,34% fin 2020, avant de remonter progressivement pour atteindre entre 3,20% et 3,41% en 2025.
Cette évolution des taux se répercute progressivement sur la charge de la dette française. Comme l’explique Fipeco, l’impact d’une hausse des taux d’intérêt sur la charge d’intérêt de la dette publique est progressif. Plus précisément, une hausse de 100 points de base de tous les taux d’intérêt entraînerait une augmentation de la charge d’intérêt de 3,2 milliards d’euros la première année, puis de 32,6 milliards d’euros la neuvième année.
Un impact budgétaire sans précédent
Cette hausse des charges d’intérêts transforme radicalement la structure budgétaire française. Selon Vie publique, les charges d’intérêts représentent 55 milliards d’euros en 2025, soit 2,4% du PIB contre 1,4% en 2020. Cette charge devient ainsi le deuxième poste de dépenses de l’État après l’éducation nationale.
L’impact est double : d’une part, ces intérêts plus élevés creusent mécaniquement le déficit public, et d’autre part, ils réduisent les marges de manœuvre budgétaires pour d’autres politiques publiques. Le gouvernement doit désormais consacrer une part croissante de ses ressources au service de la dette, contraignant d’autant les investissements dans d’autres domaines.
Les facteurs explicatifs de cette hausse
L’effet des taux d’intérêt
Le principal facteur explicatif de cette hausse réside dans l’évolution des taux d’intérêt. Les nouveaux emprunts sont contractés à des taux significativement plus élevés qu’en 2020. Cette remontée des taux, initiée en 2022 pour lutter contre l’inflation, a mécaniquement augmenté le coût de refinancement de la dette française.
L’augmentation du stock de dette
Le volume global de la dette publique a également continué de croître, passant de 2 650 milliards d’euros en 2020 à 3 346 milliards d’euros en 2025 selon les données de l’INSEE. Cette augmentation du stock amplifie l’impact de la hausse des taux d’intérêt.
L’impact de l’inflation sur la dette indexée
Environ 10% de la dette française est indexée sur l’inflation (OATi et OAT€i). Selon Fipeco, si le taux d’inflation augmente de 1 point en France et dans la zone euro, la charge d’intérêts de l’État augmente de 2,8 milliards d’euros. L’inflation élevée de 2021-2022 a donc contribué à l’augmentation des charges d’intérêts.
Les perspectives inquiétantes pour l’avenir
Les projections à moyen terme sont particulièrement préoccupantes. L’IFRAP anticipe que si les tendances actuelles se poursuivent, la charge de la dette pourrait atteindre 108 milliards d’euros en 2029, soit 3,2% du PIB. Dans ce scénario, la charge de la dette deviendrait le premier poste de dépenses de l’État, devant l’éducation nationale.
Cette évolution place la France dans une situation financière délicate. La Cour des comptes alerte sur le fait que la France, seule en Europe à voir ses finances publiques continuer de se dégrader, a obtenu de ses partenaires que le terme de sa trajectoire de retour du déficit sous les 3% du PIB soit repoussé de 2027 à 2029.
L’analyse du contexte historique
Pour comprendre l’ampleur de cette dégradation, il faut replacer ces chiffres dans leur contexte historique. La période 2010-2020 avait été marquée par une baisse continue de la charge d’intérêts malgré une augmentation quasi-continue du stock de dette. Cette situation paradoxale s’expliquait par la très forte baisse du taux apparent de la dette publique, qui était passé de 6,4% en 1996 à 1,25% en 2020.
L’environnement exceptionnel de taux négatifs de 2020 appartenait donc à une période particulière de l’histoire monétaire. Le retour à des taux d’intérêt plus conventionnels expose désormais la France à un coût de financement nettement plus élevé, révélant la fragilité de sa situation budgétaire.
Une comparaison internationale défavorable
La France se distingue négativement de ses partenaires européens. Selon Eurostat, la charge d’intérêts de la France en pourcentage du PIB est supérieure à la moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne. Cette situation contraste avec celle d’autres pays européens qui ont mieux maîtrisé leur endettement et bénéficient donc d’un impact moindre de la remontée des taux.
Les défis à venir
Cette évolution soulève des questions cruciales sur la soutenabilité des finances publiques françaises. Le rapport sur la dette des administrations publiques pour le PLF 2025 indique que la dette publique française s’établit à 3 228,4 milliards d’euros au 30 juin 2024, soit 114% du PIB.
La trajectoire prévisionnelle montre que le ratio de dette publique continuerait d’augmenter jusqu’en 2027 avant d’amorcer une décrue. Cette amélioration dépend cependant du respect strict des efforts budgétaires prévus et d’un contexte économique favorable.
Vers une nouvelle donne budgétaire
L’explosion des charges d’intérêts impose à la France de repenser sa stratégie budgétaire. Le temps où la dette publique pouvait être financée à coût quasi nul est révolu. Cette nouvelle donne nécessite une approche plus rigoureuse de la gestion des finances publique.
Les autorités françaises doivent désormais composer avec un environnement où chaque point de déficit supplémentaire se traduit par des coûts de financement significatifs. Cette contrainte rend d’autant plus urgente la nécessité d’un retour à l’équilibre des comptes publics.
Conclusion
L’analyse des données officielles démontre sans ambiguïté que la France paie aujourd’hui beaucoup plus cher sa dette qu’en 2020.
Avec une hausse de 127% des charges d’intérêts entre 2020 et 2025, passant de 29,5 à 67 milliards d’euros, la réalité contredit les affirmations de Manuel Bompard. Cette situation illustre l’impact majeur des conditions monétaires sur les finances publiques et souligne l’importance cruciale de la maîtrise des déficits publics dans un contexte de taux d’intérêt redevenus positifs.
L’environnement exceptionnel de taux négatifs de 2020 appartenait à une période particulière de l’histoire monétaire européenne. Le retour à la normale impose désormais à la France de retrouver une trajectoire budgétaire soutenable, sous peine de voir sa marge de manœuvre budgétaire encore davantage réduite par le poids croissant du service de la dette.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque