La facture énergétique de l’État français explose : une dépense de 2,23 milliards d’euros qui interroge

La publication du rapport de la Cour des comptes le 22 juillet 2025 a mis en lumière une réalité préoccupante pour les finances publiques françaises. La facture énergétique de l’État a atteint un niveau record de 2,23 milliards d’euros en 2023, soit une augmentation de 870 millions d’euros par rapport à 2018. Cette explosion des coûts soulève des questions importantes sur la gestion énergétique de l’administration publique et sa capacité à maîtriser ses dépenses dans un contexte de crise énergétique mondiale.

Une hausse spectaculaire qui reflète les crises successives

L’impact de la conjoncture énergétique mondiale

L’augmentation drastique de la facture énergétique de l’État français s’inscrit dans un contexte de bouleversements majeurs des marchés de l’énergie. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour créer cette tempête parfaite qui a fait exploser les coûts.

La pandémie de Covid-19 a marqué le début des turbulences énergétiques dès 2021. La reprise économique mondiale post-pandémie a provoqué une forte demande d’énergie alors que l’offre restait contrainte, créant les premières tensions sur les prix. Cette situation s’est dramatiquement aggravée avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, bouleversant l’approvisionnement énergétique européen et provoquant une envolée des prix du gaz et de l’électricité.

Le prix moyen du MWh consommé par l’État français a été multiplié par 2,4 entre 2018 et 2023, selon les données de la Cour des comptes. Cette multiplication illustre l’ampleur du choc énergétique subi par l’administration publique, comparable à celui vécu par l’ensemble des consommateurs français.

Les défaillances du marché de l’énergie français

La situation s’est encore compliquée avec la faillite d’Hydroption, l’un des fournisseurs d’énergie de l’État. Cette défaillance a contraint l’administration à se reporter sur d’autres fournisseurs dans des conditions moins avantageuses, contribuant au renchérissement de la facture globale. Cet épisode illustre les risques liés à la libéralisation du marché de l’énergie et la vulnérabilité des acheteurs publics face aux fluctuations du secteur.

L’État français a également pâti des problèmes de disponibilité du parc nucléaire national. Les arrêts pour maintenance et les découvertes de corrosion sous contrainte ont réduit la production nucléaire, obligeant la France à importer davantage d’électricité à des prix élevés sur les marchés européens.

Un pilotage défaillant qui aggrave la situation

L’absence de vision consolidée

Au-delà des facteurs externes, le rapport de la Cour des comptes révèle des dysfonctionnements internes préoccupants dans la gestion énergétique de l’État. Le constat est sans appel : l’administration publique « ignore en partie ce qu’elle consomme ». Cette méconnaissance résulte d’un morcellement de la gestion énergétique entre les différents ministères.

Chaque administration applique ses propres normes de comptabilité énergétique, créant une cacophonie qui empêche toute vision d’ensemble. Certains ministères achètent directement leur électricité, d’autres passent par des prestataires, parfois sans ventilation claire des coûts. Cette dispersion des pratiques prive l’État d’une capacité d’arbitrage budgétaire rationnel et d’optimisation des achats.

Des données peu fiables qui compromettent le pilotage

La Cour des comptes souligne que « la fiabilité des données en volume telles que communiquées par les ministères est problématique ». Les magistrats ont constaté des incohérences majeures entre les différentes sources d’information. Il s’avère impossible de faire correspondre les chiffres fournis par les ministères avec ceux de la direction des achats de l’État, révélant des failles dans le système d’information.

Ces défaillances dans la collecte et la consolidation des données compromettent gravement la capacité de l’État à piloter sa consommation énergétique et à identifier les gisements d’économies. Comment optimiser une dépense que l’on ne mesure pas correctement ? Cette question fondamentale illustre l’urgence d’une réforme profonde du système de suivi énergétique de l’administration.

Les ministères les plus énergivores sous la loupe

Une répartition inégale selon les missions

L’analyse de la répartition des consommations révèle que quatre ministères concentrent l’essentiel de la facture énergétique de l’État. Le ministère des Armées arrive en tête, ce qui s’explique aisément par la nature de ses activités. Les équipements militaires, les bases et les systèmes d’armes consomment des quantités importantes d’énergie, notamment pour la mobilité avec 95 % de la consommation totale de carburant de l’État.

Le ministère de l’Intérieur figure également parmi les gros consommateurs, avec ses nombreux bâtiments administratifs, commissariats et préfectures répartis sur l’ensemble du territoire. La Justice et Bercy complètent ce quatuor de tête, leurs parcs immobiliers étendus et souvent vieillissants expliquant en partie ces consommations élevées.

Des bâtiments publics énergivores et mal isolés

Le patrimoine immobilier de l’État souffre d’un déficit d’efficacité énergétique chronique. De nombreux bâtiments publics, construits avant les normes énergétiques modernes, présentent des performances thermiques médiocres. Cette situation génère des surconsommations importantes de chauffage en hiver et de climatisation en été.

Paradoxalement, les efforts de sobriété énergétique entrepris par l’État semblent porter leurs fruits sur le plan des volumes. La quantité d’énergie consommée par les bâtiments publics a diminué de 14 % entre 2018 et 2023, avec des baisses particulièrement marquées pour le gaz (-24 %) et le fioul (-32 %). Ces résultats encourageants montrent que des économies sont possibles quand des actions concrètes sont mises en œuvre.

Les défis de la transition énergétique publique

Des objectifs ambitieux face à une réalité complexe

L’État français s’est engagé dans des objectifs climatiques ambitieux : réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 22 % d’ici 2027 et de 80 % d’ici 2050 par rapport à 2022. Ces cibles supposent une transformation profonde des pratiques énergétiques de l’administration publique, tant dans ses bâtiments que dans ses modes de transport.

Pour les bâtiments, l’objectif est de réduire la consommation d’énergie de 22 % fin 2026 par rapport à 2022. Cet objectif apparaît optimiste au regard des performances passées, la consommation n’ayant baissé que de 14 % entre 2018 et 2023. L’accélération nécessaire implique des investissements massifs en rénovation énergétique et en équipements performants.

L’évolution vers un mix énergétique moins carboné

Malgré les difficultés, des signes positifs émergent dans l’évolution du mix énergétique de l’État. La montée en puissance des réseaux de chaleur et de froid, couplée à la baisse rapide des énergies fossiles, dessine les contours d’une administration plus respectueuse de l’environnement.

Cette transition énergétique nécessite cependant des investissements considérables et une planification rigoureuse. L’installation de systèmes de chauffage renouvelables, l’amélioration de l’isolation des bâtiments et le remplacement des équipements énergivores représentent des coûts importants à court terme pour des économies à long terme.

Les solutions préconisées par la Cour des comptes

Une refonte complète du système de suivi

Face à ces constats alarmants, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations structurantes. La première priorité consiste à unifier la collecte de données énergétiques au sein de l’administration. Cette harmonisation permettrait enfin d’avoir une vision consolidée et fiable des consommations de l’État.

L’intégration des coûts énergétiques dans les systèmes budgétaires constitue une autre recommandation essentielle. Actuellement, la dépense énergétique reste un angle mort de la politique publique, pesant près de 1,7 milliard d’euros en 2024 sans faire l’objet d’un traitement spécifique dans les lois de finances.

La professionnalisation de la gestion énergétique

La Cour des comptes préconise la formation de « gestionnaires énergie » dans chaque administration, sous la coordination du commissariat général au développement durable. Cette professionnalisation permettrait d’améliorer significativement le pilotage énergétique et d’identifier les opportunités d’optimisation.

La création d’indicateurs de rendement énergétique pour les entités publiques constituerait un outil précieux pour mesurer les performances et orienter les investissements. Ces mécanismes de suivi et d’alerte permettraient de transformer la dépense énergétique d’une ligne de charge opaque en véritable outil d’arbitrage éclairé.

L’enjeu financier et environnemental à long terme

Un poids croissant sur les finances publiques

Sans réforme rapide, l’augmentation des coûts publics liés à l’énergie risque de devenir un fardeau systémique pour les finances publiques françaises. La volatilité des marchés énergétiques, couplée aux objectifs de décarbonation, laisse présager des tensions budgétaires durables si aucune action n’est entreprise.

L’investissement dans l’efficacité énergétique des bâtiments publics représente certes un coût initial important, mais il s’agit d’un investissement d’avenir. Les économies générées permettront de réduire structurellement la facture énergétique tout en contribuant aux objectifs climatiques nationaux.

Une exemplarité nécessaire de l’État

Au-delà des considérations budgétaires, la maîtrise de sa consommation énergétique constitue un enjeu d’exemplarité pour l’État. Comment demander aux citoyens et aux entreprises des efforts de sobriété énergétique si l’administration publique ne parvient pas à piloter efficacement ses propres consommations ?

Cette exemplarité passe par une transparence accrue sur les consommations et les actions entreprises. La publication régulière d’indicateurs de performance énergétique permettrait de rendre compte des progrès réalisés et de maintenir la pression sur l’amélioration continue.

L’explosion de la facture énergétique de l’État français à 2,23 milliards d’euros en 2023 révèle les failles d’un système de gestion éclaté et peu efficace. Si les facteurs externes ont joué un rôle majeur dans cette hausse, les dysfonctionnements internes amplifient le problème et compromettent les objectifs de sobriété énergétique.

Les recommandations de la Cour des comptes ouvrent la voie à une refonte nécessaire du pilotage énergétique public, condition indispensable pour maîtriser cette dépense explosive tout en respectant les engagements climatiques de la France.