La taxe foncière face à la suppression de la taxe d’habitation : êtes-vous vraiment gagnant ?

Depuis la suppression complète de la taxe d’habitation sur les résidences principales en janvier 2023, les propriétaires français se posent légitimement cette question : sommes-nous réellement gagnants malgré la hausse continue de la taxe foncière ? Cette question devient cruciale alors que les experts annoncent une nouvelle augmentation d’environ 5% de la taxe foncière pour 2025.

L’évolution récente de la fiscalité locale : un bouleversement historique

La réforme de la fiscalité locale engagée depuis 2018 constitue la transformation la plus importante du système fiscal français depuis des décennies. La suppression progressive de la taxe d’habitation, qui représentait 23,4 milliards d’euros de recettes avant sa suppression, a profondément modifié l’équilibre des finances locales.

Cette mesure phare a d’abord bénéficié à 80% des foyers dès 2020, avant d’être étendue à l’ensemble des contribuables en 2023. Selon les données officielles, cette réforme a permis d’accroître de 1,1% en moyenne le revenu disponible des ménages.

La taxe foncière en forte progression : une compensation inévitable

Face à cette perte de recettes considérable, les collectivités locales se sont naturellement tournées vers leur principal levier fiscal restant : la taxe foncière. Les chiffres de la Direction générale des finances publiques révèlent une hausse spectaculaire de 10,8% en moyenne en 2023, après plusieurs années de croissance soutenue.

Cette hausse résulte de deux mécanismes principaux. D’une part, la revalorisation automatique des valeurs locatives cadastrales, qui suit l’inflation avec un an de décalage : 7,1% en 2023, 3,9% en 2024, et une projection de 1,7% pour 2025. D’autre part, l’augmentation des taux votés par les collectivités locales, qui ont progressé de 1,2% en moyenne en 2024.

Des montants moyens qui révèlent l’ampleur du phénomène

Les statistiques officielles de 2023 montrent que la taxe foncière atteint désormais 1 019 euros en moyenne pour une maison, contre 811 euros pour un appartement. Cette progression représente une hausse de 33% sur la dernière décennie, soit un rythme de croissance particulièrement soutenu.

Selon une étude du courtier Meilleurtaux, l’impact budgétaire mensuel moyen de la taxe foncière s’élève maintenant à 113 euros dans les grandes villes françaises, représentant une charge croissante pour les propriétaires.

Le bilan économique global : un équilibre complexe à évaluer

Le rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2025 dresse un bilan nuancé de ces réformes fiscales. En 2023, les contribuables ont acquitté 100 milliards d’euros d’impôts locaux, soit 38 milliards d’euros de moins qu’avant les réformes.

Cette économie d’ensemble masque toutefois des disparités importantes. Si la suppression de la taxe d’habitation a libéré du pouvoir d’achat, elle a également engendré « une redistribution à l’envers », bénéficiant davantage aux ménages aisés. Parallèlement, l’augmentation de la taxe foncière pèse exclusivement sur les propriétaires, qu’ils occupent ou non leur logement.

Une analyse différenciée selon les profils de contribuables

Pour déterminer qui gagne et qui perd, il convient d’analyser différents profils. Un propriétaire occupant son logement bénéficie de la suppression complète de sa taxe d’habitation tout en subissant l’augmentation de sa taxe foncière. Dans la majorité des cas, l’économie réalisée sur la première demeure supérieure au surcoût de la seconde, au moins à court terme.

En revanche, les propriétaires de résidences secondaires subissent un double effet négatif : ils continuent de payer la taxe d’habitation sur leurs biens non occupés à titre principal, tout en voyant leur taxe foncière augmenter. Cette catégorie de contribuables sort clairement perdante de la réforme.

Les perspectives d’évolution pour 2025 et au-delà

Les projections pour 2025 annoncent une hausse plus modérée de la taxe foncière, estimée à environ 1,7% minimum, après les fortes progressions des années précédentes. Ce ralentissement s’explique par un retour à une inflation plus maîtrisée et une moindre pression sur les collectivités locales.

Cependant, comme le souligne l’Union nationale de la propriété immobilière, la tendance de fond demeure haussière. La taxe foncière représente désormais l’une des principales ressources fiscales des communes, qui disposent d’une marge de manœuvre importante pour ajuster les taux selon leurs besoins budgétaires.

L’impact sur le marché immobilier et les comportements d’investissement

Cette évolution fiscale commence à influencer le marché immobilier. Dans certaines communes où la taxe foncière a fortement augmenté, des vendeurs témoignent de difficultés à écouler leurs biens, les acquéreurs potentiels étant découragés par le niveau des charges fiscales.

Cette situation pourrait conduire à une réévaluation des critères de choix immobilier, les futurs propriétaires intégrant davantage le niveau de fiscalité locale dans leurs décisions d’achat. Les communes aux taux modérés pourraient ainsi bénéficier d’un avantage concurrentiel.

Les enjeux de la réforme des valeurs locatives cadastrales

Un élément crucial de l’évolution future réside dans la réforme des valeurs locatives cadastrales, dont les bases datent de 1970 pour les logements. Cette révision, sans cesse reportée, devrait finalement intervenir en 2028 selon les dernières annonces.

Cette mise à jour pourrait redistribuer significativement la charge fiscale entre les territoires et les types de logements, certains propriétaires voyant leur taxe diminuer tandis que d’autres subiraient une hausse. L’effet sera néanmoins lissé sur plusieurs années pour éviter les chocs budgétaires.

Les conséquences pour les collectivités locales

La Cour des comptes souligne que cette réforme a entraîné une « déterritorialisation » des ressources locales. Les collectivités dépendent désormais davantage des dotations de l’État et des recettes de TVA redistribuées, au détriment de leurs recettes fiscales propres.

Cette évolution soulève des questions sur l’autonomie financière des territoires et leur capacité à conduire des politiques locales différenciées. Elle pourrait également réduire les incitations à l’accueil de nouvelles activités économiques ou de nouveaux logements, les retombées fiscales directes étant amoindries.

Recommandations et stratégies pour les contribuables

Face à cette évolution, plusieurs stratégies peuvent être envisagées par les propriétaires. L’optimisation fiscale passe d’abord par une veille attentive sur les décisions des collectivités locales concernant les taux d’imposition. Il convient également de s’informer sur les dispositifs d’exonération ou d’abattement disponibles, notamment pour les personnes âgées ou aux revenus modestes.

Pour les investisseurs, l’intégration du niveau de fiscalité locale devient un critère de choix déterminant. Une analyse comparative des taux pratiqués dans différentes communes peut orienter les décisions d’acquisition vers les territoires les plus avantageux fiscalement.

Le bilan : gagnant ou perdant selon votre situation

Au terme de cette analyse, la réponse à la question initiale dépend largement de votre situation personnelle. Dans la majorité des cas, les propriétaires occupants demeurent gagnants à court terme, l’économie réalisée sur la taxe d’habitation compensant encore l’augmentation de la taxe foncière.

Cependant, cette situation pourrait s’inverser à moyen terme si la progression de la taxe foncière se poursuit au rythme actuel. Les projections montrent qu’une hausse de 20% supplémentaire sur les cinq prochaines années n’est pas à exclure, ce qui pourrait éroder l’avantage initial de la suppression de la taxe d’habitation.

Pour les propriétaires de résidences secondaires et les investisseurs locatifs, le bilan est d’ores et déjà négatif. Cette catégorie de contribuables subit pleinement l’effet de ciseaux entre le maintien de la taxe d’habitation et l’augmentation de la taxe foncière.

En définitive, si la réforme a effectivement allégé la charge fiscale globale des ménages comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, elle a également créé de nouvelles inégalités entre propriétaires et locataires, entre résidence principale et secondaire. L’évolution future dépendra largement des choix budgétaires des collectivités locales et de leur capacité à maintenir leurs services publics sans recourir à des hausses d’impôts trop importantes.

Cette réforme illustre la complexité des arbitrages fiscaux, où chaque mesure d’allègement dans un domaine peut se traduire par des compensations ailleurs. Pour les contribuables, une vigilance constante sur l’évolution de leur situation fiscale globale s’impose, au-delà des effets d’annonce sur telle ou telle suppression d’impôt.