La France dépense-t-elle vraiment trop pour son école publique ? Cette question, récurrente dans les débats politiques, repose sur une illusion comptable de grande ampleur. Selon une récente étude de l’Institut des politiques publiques, le budget de l’Éducation nationale est majoré de près de 10 milliards d’euros, soit environ 13% de son montant affiché. En cause : une convention comptable qui impute au ministère les retraites de ses fonctionnaires selon des règles pour le moins discutables.
Une facture de retraites démesurée
Le mécanisme mis en lumière par les économistes de l’École d’économie de Paris révèle une anomalie comptable majeure. Pour financer les retraites des fonctionnaires d’État, l’administration applique un taux de cotisation employeur stratosphérique : 74,28% du salaire brut pour les fonctionnaires civils et 126,07% pour les militaires. À titre de comparaison, un employeur privé cotise à hauteur de 17% seulement. (Source : https://www.ipp.eu/publication/retraites-des-fonctionnaires-detat-faut-il-changer-la-convention-comptable/)
Cette différence colossale s’explique par le déséquilibre démographique du régime de retraite de la fonction publique. Avec la baisse continue du nombre de fonctionnaires en activité par rapport aux retraités, l’État compense ce déficit en appliquant aux ministères des taux de cotisation déconnectés de la réalité économique. « Le budget de l’éducation nationale est surévalué », explique Julien Grenet, chercheur à l’École d’économie de Paris. (Source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/01/le-budget-de-l-education-nationale-est-artificiellement-gonfle_6638007_3224.html)
Un tiers du budget détourné vers les retraites
L’impact de cette convention comptable sur le ministère de l’Éducation nationale s’avère particulièrement saisissant. Avec ses 870 000 agents, il constitue le plus gros employeur de l’État français. Résultat : près du tiers de son budget affiché finance en réalité les retraites de la fonction publique, et non l’enseignement proprement dit.
Cette situation éclaire d’un jour nouveau les difficultés chroniques du système éducatif. Concrètement, le budget 2023 de l’enseignement scolaire, officiellement établi à 81,3 milliards d’euros, ne représente en réalité que 70,7 milliards d’euros de dépenses effectives selon les calculs de l’Institut des politiques publiques. Cette différence de 10,6 milliards correspond à ce que les chercheurs qualifient de « subvention implicite de l’État » pour couvrir le déséquilibre démographique du régime de retraite.
Des comparaisons internationales biaisées
Cette pratique comptable fausse directement la perception des performances du système éducatif français. Lorsque l’on compare les dépenses d’éducation par élève entre pays, la France apparaît en bonne position avec 5,4% de son PIB consacré à l’école, contre 4,9% en moyenne dans l’OCDE. Mais si l’on retranche la part artificielle liée aux retraites, la réalité devient plus nuancée.
Dans le primaire, la dépense par élève passe ainsi de 8 450 euros affichés à 7 726 euros réels, soit une surévaluation de 9,37%. Cette correction place la France dans une situation moins flatteuse par rapport à ses voisins européens. Plus une administration compte de fonctionnaires, plus la contribution retraite qui lui est imputée s’avère élevée. (Source : https://www.nouvelobs.com/politique/20250702.OBS105534/et-si-l-education-nationale-ne-coutait-pas-si-cher-qu-on-ne-le-dit.html)
Une critique qui dépasse l’Éducation nationale
Cette convention comptable ne concerne pas uniquement l’Éducation nationale, mais l’ensemble des ministères employant des fonctionnaires d’État. Selon l’Institut Molinari, qui a également étudié cette question, les retraites représentent globalement 24% des dépenses publiques et expliquent 45% de leur progression depuis 1977. Les retraites consomment notamment 30% du budget de l’Éducation nationale, plus que l’enseignement primaire ou le secondaire. (Source : https://www.institutmolinari.org/2025/01/19/provisionner-les-retraites-des-fonctionnaires-pour-economiser-60-milliards-deuros-par-an-2/)
Cette situation contribue à expliquer certaines difficultés du système éducatif français. Quand 30% du budget affiché finance en réalité les retraites plutôt que l’enseignement, cela peut éclairer d’un jour nouveau les débats sur le manque de moyens régulièrement dénoncé par les enseignants et les syndicats.
Vers une réforme des conventions comptables ?
Face à ce constat, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une révision des conventions comptables appliquées aux retraites des fonctionnaires. L’Institut des politiques publiques propose notamment de séparer clairement la cotisation employeur de la subvention implicite destinée à couvrir le déséquilibre démographique du régime.
Avec un taux de cotisation « normal » de 34,7% au lieu des 74,28% actuels, les budgets ministériels retrouveraient leur lisibilité et permettraient des comparaisons plus pertinentes. Cette réforme comptable n’aurait aucun impact sur les droits des retraités, mais clarifierait considérablement les débats sur l’efficacité de la dépense publique.
L’enjeu dépasse la simple querelle technique. Face à l’augmentation des restrictions financières, il est crucial d’avoir une compréhension précise de la distribution des fonds publics. Savoir précisément combien coûte réellement l’école, la police ou la justice permettrait d’éclairer les choix politiques sur des bases plus solides.
Cette révélation sur les artifices comptables du budget de l’Éducation nationale invite ainsi à repenser plus largement la façon dont l’État présente et analyse ses dépenses. Car au-delà des chiffres, c’est bien la transparence démocratique qui se trouve en jeu dans cette bataille des conventions comptables. Reste à savoir si le gouvernement aura le courage politique de réviser ces pratiques opaques qui brouillent depuis des années la lecture des finances publiques.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque