Le chêne français à l’assaut de la Chine : quelles conséquences pour nos forêts ?

Le chêne français s’arrache à prix d’or sur le marché chinois, au point de menacer l’équilibre de toute une filière. Derrière ces flux commerciaux en apparence banals se cache une réalité complexe, où se mêlent enjeux économiques, tensions géopolitiques et questions environnementales. Plongée dans un dossier qui fait grincer des dents les professionnels du bois hexagonaux.

Le phénomène d’exportation du bois français vers la Chine : état des lieux

Qui aurait imaginé il y a vingt ans que les forêts françaises deviendraient un enjeu stratégique pour l’industrie chinoise ? Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le rapport UNECE 2023, la Chine a capté 54% de la valeur des exportations de grumes de chêne françaises en 2022, soit 102 millions d’euros. Une manne qui ne cesse de croître.

L’évolution donne le tournis. Entre 2019 et 2020, +11%. Puis l'emballement : +54% entre 2020 et 2021, et +60% l’année suivante. En volume, la progression reste impressionnante malgré un léger tassement. Mais ces statistiques officielles ne racontent qu’une partie de l’histoire.

Saviez-vous qu’une bonne partie du chêne « exporté » vers la Belgique finit en réalité en Chine ? Simple question de logistique portuaire. L’association Canopée estime qu’entre 2014 et 2020, la Chine a siphonné en moyenne 10% de notre production nationale de chêne brut. Avec des pics à 17,5% en 2019 avant le coup de frein pandémique. Depuis ? La tendance est repartie de plus belle.

Les causes de cette forte demande chinoise

Pourquoi cet appétit soudain pour notre chêne ? Plusieurs facteurs se conjuguent, certains assez inattendus.

D’abord, l’émergence d’une classe moyenne chinoise friande de parquets et meubles en chêne. Un paradoxe : ce bois noble, symbole des vieilles demeures européennes, devient un marqueur de réussite sociale en Asie. Ensuite, un fait peu connu : la Chine ne dispose tout simplement pas de cette essence sur son territoire.

La politique environnementale chinoise joue aussi un rôle clé. Depuis 2017, Pékin a décrété un moratoire sur l’exploitation de ses forêts primaires. Résultat ? La pression sur les importations s’est brutalement accentuée.

Et puis il y a la guerre commerciale sino-américaine. Avant 2017, les États-Unis fournissaient le tiers du bois importé par la Chine. Les droits de douane imposés par Trump ont tout changé. La Chine s’est alors tournée vers l’Europe, et particulièrement vers la France, dont les forêts bien gérées offrent des ressources stables.

Enfin, dernier élément : les difficultés logistiques russes. Avec -30% d’importations depuis 2016 à cause de réseaux ferroviaires saturés, la Russie a progressivement laissé la place aux fournisseurs européens.

Un impact majeur sur la filière bois française

Conséquences pour les scieries françaises

Les effets sur le terrain sont dramatiques. La Fédération nationale du bois alerte depuis 2017 sur la raréfaction des grumes. Entre 2007 et 2017, ce sont 900 000 m³ qui ont disparu du marché français. Les témoignages des professionnels font froid dans le dos.

« Les acheteurs chinois n’ont pas de limite de prix », soupire un directeur d’une scierie bourguignonne. Plus brutal, un scieur normand, parle carrément de « pillage » des forêts françaises. Les chiffres confirment ce désastre : 60% de capacité utilisée seulement dans les scieries en 2017, 350 établissements disparus entre 2005 et 2017.

En 2021, le gap entre besoins et disponibilités a atteint des sommets : 1,2 million de m³ disponibles contre 1,7 million nécessaires. Une situation intenable qui pousse nombre de petites entreprises à mettre la clé sous la porte.

Les avantages concurrentiels chinois

Comment expliquer cette domination chinoise ? Plusieurs atouts font la différence :

Coût de main-d’œuvre : Les normes sociales moins contraignantes permettent des prix imbattables.

Politique douanière : Astucieux, Pékin taxe le parquet à 30% mais les grumes à 0%.

Valorisation totale : Les Chinois exploitent même les bois rustiques que nos scieries délaissent.

Impacts écologiques et économiques

L’aspect environnemental préoccupe autant que l’économique. Exporter des grumes par bateau génère une empreinte carbone considérable. Pire : on perd toute la valorisation des coproduits (sciures, chutes) habituellement recyclés en bois-énergie.

À long terme, c’est la diversité de nos forêts qui est en jeu. Avec la disparition des débouchés pour le chêne de qualité secondaire, certains sylviculteurs pourraient se tourner vers les résineux, à rotation plus rapide. Déjà, l’IGN note que 90% des nouveaux plants sont des résineux ou des peupliers de culture.

Économiquement, c’est une hémorragie. La filière bois française, qui emploie 440 000 personnes, voit filer une précieuse valeur ajoutée. Un gâchis quand on connaît le potentiel de ces emplois non délocalisables.

Les mesures mises en place pour protéger la filière française

Le label « Transformation UE »

Depuis 2015, l’ONF a instauré ce label pour les acheteurs de chênes publics. « Les chênes des forêts domaniales et communales ne partent pas en Chine », assure Françoise Le Failler de l’ONF. Efficace ? Le solde de la filière chêne a presque doublé entre 2015 et 2017.

L’accord de filière sur le chêne

Signé en février 2022 et prolongé jusqu’en 2025, cet accord vise à sécuriser les approvisionnements locaux. Une bouffée d’oxygène pour les scieries en détresse.

Le développement des contrats d’approvisionnement

L’ONF a massifié ces contrats garantissant l’accès à la ressource. Résultat : 65% du volume vendu en forêt domaniale y est désormais soumis.

Une tendance récente à la baisse

Bonnes nouvelles : depuis fin 2022, les exportations vers la Chine reculent (-45% en volume en 2023). La crise immobilière chinoise y est pour beaucoup, mais les mesures protectionnistes portent aussi leurs fruits.

Des solutions pour l’avenir

Plusieurs pistes émergent pour consolider la filière :

Étendre le label UE aux forêts privées : Conditionner les aides publiques à une transformation locale.

Presser les coopératives forestières : Elles ont bénéficié de 150 millions du plan de relance, à elles de jouer le jeu.

Soutenir les scieries de feuillus : Créer des débouchés pour valoriser toutes les qualités de chêne.

L’opinion publique est acquise à cette cause : 98% des Français préfèrent une transformation locale du bois, selon un sondage FNB de 2017.

Préserver nos forêts, reprendre la main

Si le phénomène s’atténue depuis 2023, la vigilance reste de mise, surtout pour les forêts privées non couvertes par le label UE. Relocaliser la transformation du bois représente bien plus qu’un enjeu économique : c’est une question de souveraineté industrielle et environnementale.

L’avenir ? Développer une filière compétitive capable de valoriser toutes les qualités de nos chênes, tout en préservant la biodiversité de nos forêts. Un défi de taille, mais à la hauteur de l’enjeu : pérenniser une ressource qui a mis des siècles à pousser, et qui mérite mieux qu’un voyage sans retour vers l’Asie.