Les Français ont-ils vraiment 7701 € sur leur compte courant ? Pas si vite…

Lorsqu’on évoque les sommes détenues par les Français sur leurs comptes courants, les chiffres peuvent parfois sembler déconnectés de la réalité. La Banque de France annonce qu’en moyenne, les Français possèdent 7 701 euros sur leur compte courant en 2024. Un montant considérable pour beaucoup d’entre nous, qui soulève une question fondamentale : ces moyennes reflètent-elles vraiment la situation financière des ménages français ?

Des moyennes qui masquent la réalité

Ce montant moyen de 7 701 euros, calculé par l’institution financière, cache en réalité d’importantes disparités. Cette moyenne arithmétique est obtenue en additionnant tous les soldes de comptes courants et en divisant par le nombre de comptes. Elle est considérablement tirée vers le haut par une minorité de comptes très bien dotés.

Les données révèlent que seulement 12 % des comptes courants français possèdent plus de 10 000 euros, mais ces comptes représentent à eux seuls 83 % de l’encours total. À l’autre extrémité, 29 % des comptes détiennent moins de 150 euros et ne pèsent que 0,1 % de la masse totale. Cette répartition illustre parfaitement pourquoi la moyenne peut être trompeuse dans l’analyse des données économiques.

Cette distorsion n’est pas spécifique aux comptes courants. Elle se retrouve dans de nombreux indicateurs économiques, notamment le patrimoine. Selon l’INSEE, en 2021, le patrimoine brut moyen des ménages français s’élevait à 317 100 euros, tandis que la médiane n’atteignait que 177 200 euros. Un écart de près de 80 % qui témoigne de la concentration du patrimoine dans les hauts déciles de la population.

La médiane révèle la vraie France

Face à ces distorsions, la médiane offre une perspective plus représentative de la situation réelle des ménages. Pour les comptes courants, bien que l’institution ne communique pas directement cette donnée, il est possible de l’estimer à partir des informations disponibles. D’après la répartition des comptes, la médiane se situerait autour de 1 000 euros.

Cette valeur signifie que la moitié des Français possèdent moins de 1 000 euros sur leur compte courant, et l’autre moitié davantage. Un chiffre bien plus en phase avec l’expérience quotidienne de nombreux ménages que la moyenne de 7 701 euros. Cette différence flagrante révèle l’ampleur des inégalités financières en France.

La médiane présente l’avantage d’être insensible aux valeurs extrêmes. Contrairement à la moyenne, elle n’est pas affectée par les comptes exceptionnellement bien dotés ou, à l’inverse, par ceux qui sont dans le rouge. Elle offre donc une vision plus équilibrée et représentative de la situation financière du ménage « typique » français.

Prenons un exemple concret : dans un groupe de dix personnes où neuf possèdent 500 euros sur leur compte et une détient 50 000 euros, la moyenne s’établit à 5 450 euros. La médiane, elle, reste à 500 euros, reflétant bien mieux la réalité vécue par la majorité du groupe.

L’épargne française entre tradition et inégalités

Cette problématique dépasse le simple cadre des comptes courants. Elle touche l’ensemble de l’épargne française, traditionnellement élevée avec un taux qui s’établit à 18 % en 2024, contre 16,7 % en 2023. Mais là encore, les moyennes masquent de profondes disparités.

Les données de l’Observatoire des inégalités révèlent que l’épargne annuelle varie considérablement selon les revenus. Les 20 % les plus aisés épargnent en moyenne 15 931 euros par an, soit près de 30 % de leurs revenus. À l’inverse, les 20 % les plus modestes ne parviennent à économiser que 357 euros annuels, représentant seulement 3 % de leurs ressources.

Ces inégalités d’épargne alimentent directement les inégalités de patrimoine. Les ménages qui peuvent se permettre d’épargner davantage accumulent des actifs qui génèrent ensuite des revenus complémentaires, creusant l’écart avec ceux qui peinent à mettre de l’argent de côté. C’est ce que les économistes appellent l’effet « boule de neige » du patrimoine.

L’âge constitue également un facteur déterminant. Avant trente ans, on épargne peu, moins d’un dixième de ses ressources. Puis, les revenus s’accroissent au fil de la vie professionnelle et les dépenses diminuent le plus souvent avec l’avancée en âge. Le taux d’épargne s’élève ainsi à 18 % à partir de 50 ans et atteint 25 % à partir de 70 ans.

Pourquoi privilégier la médiane dans l’analyse économique

L’utilisation de la médiane plutôt que de la moyenne présente plusieurs avantages dans l’analyse des données économiques et sociales. D’abord, elle offre une meilleure représentativité statistique. Quand une distribution est asymétrique, comme c’est souvent le cas pour les revenus, les patrimoines ou l’épargne, la médiane donne une image plus fidèle de la situation du citoyen « moyen ».

Ensuite, elle facilite l’interprétation des politiques publiques. Comprendre que la moitié des ménages français possèdent moins de 1 000 euros sur leur compte courant permet de mieux cerner les enjeux d’accès au crédit, de gestion des découverts bancaires ou de constitution d’une épargne de précaution.

Cette approche permet aussi de mieux appréhender les inégalités. L’écart entre moyenne et médiane constitue en soi un indicateur de concentration. Plus cet écart est important, plus la distribution est inégalitaire. Dans le cas du patrimoine français, la différence de 40 % entre moyenne et médiane témoigne d’une concentration significative dans les hauts déciles.

Les statisticiens le savent bien : la moyenne peut être suffisante lorsque les données sont réparties de manière relativement égale autour d’une valeur centrale. Mais elle devient insuffisante et même trompeuse lorsque ce n’est pas le cas. C’est exactement la situation que nous observons avec l’épargne française.

Des implications concrètes pour tous

Pour les ménages français, comprendre cette différence entre moyenne et médiane peut aider à mieux situer sa propre situation financière. Se comparer à une moyenne de 7 701 euros peut générer un sentiment d’inadéquation injustifié, alors que se référer à la médiane de 1 000 euros offre une perspective plus réaliste.

Cette prise de conscience peut également influencer les stratégies d’épargne personnelles. Plutôt que de viser des objectifs irréalistes basés sur des moyennes gonflées par les hauts patrimoines, il est plus pertinent de se fixer des objectifs progressifs et adaptés à sa situation réelle.

Un conseiller financier exprime souvent cette réalité à ses clients : « Quand je vois arriver quelqu’un qui s’inquiète de ne pas atteindre les moyennes nationales d’épargne, je lui explique que ces chiffres ne correspondent pas à la réalité du terrain. La plupart des gens ont bien moins que ces moyennes. »

Pour les décideurs politiques et économiques, l’usage de la médiane permet de mieux calibrer les mesures d’accompagnement. Les dispositifs d’aide à l’épargne, les seuils d’éligibilité aux prestations sociales ou les politiques de lutte contre l’exclusion bancaire peuvent être conçus en tenant compte de la réalité vécue par la majorité de la population.

Une communication plus transparente nécessaire

La communication autour des statistiques économiques gagnerait à systématiquement présenter les deux indicateurs. Mentionner conjointement moyenne et médiane permet au public de mieux comprendre les enjeux de répartition et d’éviter les malentendus.

Cette exigence de transparence devient d’autant plus importante que les inégalités se creusent. Entre 1998 et 2021, l’indice de Gini du patrimoine brut est passé de 0,639 à 0,662, traduisant une accentuation des disparités. Dans ce contexte, utiliser uniquement les moyennes revient à masquer une réalité sociale majeure.

D’autres pays européens ont d’ailleurs adopté cette pratique. Les instituts statistiques allemands et britanniques présentent systématiquement médiane et moyenne dans leurs rapports sur les revenus et le patrimoine. Une approche qui permet aux citoyens de mieux comprendre leur situation relative et aux décideurs de mieux cibler leurs politiques.

L’exemple des comptes courants français illustre parfaitement l’importance de choisir les bons indicateurs statistiques. La moyenne de 7 701 euros, bien qu’exacte d’un point de vue mathématique, peut induire en erreur sur la réalité financière des ménages. La médiane, estimée à 1 000 euros, offre une vision plus juste et plus utile pour l’analyse et la prise de décision.

Cette réflexion dépasse le cadre de l’épargne. Elle s’applique à de nombreux domaines économiques et sociaux où les moyennes peuvent masquer d’importantes disparités : salaires, patrimoine, dépenses de santé, consommation d’énergie. Dans tous ces domaines, la médiane apporte un éclairage complémentaire indispensable.

L’objectif n’est pas d’abandonner les moyennes, qui restent utiles pour certaines analyses, notamment macroéconomiques. Il s’agit plutôt de développer une approche plus nuancée, qui combine différents indicateurs pour mieux appréhender la complexité des réalités sociales et économiques.

Le débat sur les statistiques publiques n’est pas qu’une question technique. Il touche à la façon dont une société se représente elle-même et dont elle oriente ses choix collectifs. Privilégier la médiane, c’est choisir de regarder la réalité en face, sans se laisser aveugler par les extrêmes.

En définitive, privilégier la médiane à la moyenne dans l’analyse de l’épargne française permet de mieux comprendre les enjeux de politique économique, de mieux orienter les politiques publiques et de donner aux citoyens une vision plus juste de leur situation financière relative. C’est un pas vers une lecture plus démocratique et plus éclairée des statistiques économiques, au service d’une meilleure compréhension de notre société.