Les pays les plus émetteurs de CO2 : comment les inciter à agir pour le climat ?

Les émissions mondiales de dioxyde de carbone continuent leur progression inquiétante, dépassant aujourd’hui les 35 milliards de tonnes par an (Source : https://ourworldindata.org/co2-emissions). Un constat alarmant s’impose : une dizaine de pays concentrent à eux seuls plus des deux tiers de ces émissions. Cette concentration géographique des rejets carbonés offre paradoxalement un levier d’action unique pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. La question centrale devient alors : comment exercer une pression suffisante sur ces grands émetteurs pour les contraindre à accélérer leur transition énergétique ?

Le poids écrasant des dix premiers émetteurs mondiaux

Les pays les plus émetteurs de CO2

La géographie des émissions de CO2 révèle que la Chine domine largement avec plus de 11,2 milliards de tonnes de CO2 par an, soit près d’un quart des émissions planétaires. Les États-Unis suivent avec 4,5 milliards de tonnes, puis l’Inde avec 2,4 milliards de tonnes. L’Union européenne, considérée comme un bloc, complète ce podium avec 2,7 milliards de tonnes (Source : https://empreinte-carbone.org/classement-mondial-de-lempreinte-carbone-par-pays/).

Cette concentration s’explique par plusieurs facteurs déterminants. La taille démographique représente le premier élément : la Chine et l’Inde rassemblent à elles seules plus de 2,8 milliards d’habitants. Le niveau de développement économique joue également un rôle crucial, les pays industrialisés présentant généralement des émissions par habitant très supérieures à la moyenne mondiale. Enfin, les choix énergétiques nationaux pèsent considérablement dans cette équation climatique.

Les pays du G20, qui regroupent les principales économies mondiales, génèrent ainsi 78 % des émissions de gaz à effet de serre (Source : https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/09/Oxfam-G20-part-juste-effort-climatique-Resume.pdf). Cette responsabilité collective des grandes puissances économiques dans la crise climatique justifie qu’ils soient au cœur de toute stratégie d’action efficace.

Les mécanismes économiques : un jeu d’équilibre délicat

L’Union européenne a inauguré une approche novatrice avec son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), entré en vigueur en octobre 2023. Ce dispositif, unique au monde, impose une tarification carbone aux importations de certains produits industriels. Le secteur du ciment, de l’acier, de l’aluminium, des engrais azotés, de l’hydrogène et l’électricité sont dans un premier temps concernés (Source : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-macf).

Cette « taxe carbone aux frontières » vise un double objectif stratégique. D’une part, elle protège les industriels européens d’une concurrence déloyale de pays appliquant des standards environnementaux plus laxistes. D’autre part, elle incite indirectement les producteurs étrangers à réduire l'empreinte carbone (quantité de CO2 émise par unité produite) de leurs procédés de fabrication pour maintenir leur compétitivité sur le marché européen.

Cependant, cette stratégie comporte des risques de rétorsion non négligeables. Les pays visés par ces mesures peuvent décider d’imposer à leur tour des taxes ou restrictions sur les exportations européennes, créant une spirale protectionniste préjudiciable aux échanges commerciaux. Cette réalité oblige l’Europe à développer une diplomatie économique fine, alternant fermeté sur les objectifs climatiques et souplesse sur les modalités d’application.

L’efficacité de ce mécanisme repose sur l’effet d’entraînement qu’il pourrait générer. Si d’autres blocs économiques majeurs adoptaient des dispositifs similaires, les pays exportateurs à forte empreinte carbone se retrouveraient face à un véritable « mur tarifaire » les contraignant à moderniser leurs processus industriels. La coordination internationale de ces politiques commerciales pourrait créer un cercle vertueux de décarbonisation, à condition de préserver les équilibres commerciaux existants.

Les marchés du carbone représentent un autre levier économique prometteur. Le système européen d’échange de quotas d’émission (ETS) a démontré son efficacité croissante, avec un prix du carbone dépassant régulièrement les 80 euros la tonne (Source : https://www.touteleurope.eu/environnement/environnement-comment-fonctionne-le-marche-du-carbone-europeen/). L’extension de ces mécanismes de marché aux pays émergents, accompagnée d’un soutien technique et financier, pourrait accélérer leur transition énergétique.

La diplomatie climatique : construire des coalitions d’influence

L’approche diplomatique traditionnelle, incarnée par les conférences sur le climat (COP), montre ses limites face à l’urgence climatique. Les engagements volontaires de l’Accord de Paris, bien que représentant une avancée historique, demeurent insuffisants pour contenir le réchauffement sous 1,5°C. Une diplomatie climatique plus incisive s’avère nécessaire.

La formation de coalitions de pays ambitieux peut exercer une pression morale et politique sur les grands émetteurs. L’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), directement menacés par la montée des eaux, porte ainsi une voix particulièrement légitime dans les négociations internationales. L’émergence de coalitions thématiques (sortie du charbon, fin des subventions aux énergies fossiles) permet également d’isoler diplomatiquement les pays récalcitrants.

Le G20, forum informel mais influent, offre un cadre privilégié pour exercer une pression directe sur les principaux émetteurs (Source : https://reseauactionclimat.org/du-g20-a-la-cop28-des-moments-cles-pour-la-diplomatie-climatique/). Cependant, la grande majorité de ces pays ne respectent pas leur juste part en matière de réduction d’émissions. Les experts recommandent que les pays du G20 rehaussent d’urgence leurs ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

Par ailleurs, la diplomatie économique peut jouer un rôle déterminant. Les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) peuvent conditionner leurs financements au respect de critères climatiques stricts. Cette approche s’avère particulièrement efficace pour les pays en développement dépendants de l’aide internationale.

Les sanctions économiques : un outil controversé aux effets imprévisibles

L’usage de sanctions économiques ciblant spécifiquement les émissions de carbone reste largement inexploré dans les relations internationales. Pourtant, cette approche pourrait s’avérer redoutablement efficace face à des pays persistant dans leurs pratiques polluantes.

Des sanctions sectorielles visant les industries les plus émettrices (charbon, pétrole, ciment) pourraient créer un coût économique significatif pour les pays récalcitrants. L’exclusion progressive de certains secteurs des chaînes de valeur mondiales, à l’image du mécanisme européen MACF élargi, formerait une sanction commerciale indirecte.

L’exclusion des marchés financiers internationaux représente un autre levier puissant. Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, porté par de nombreux fonds de pension et compagnies d’assurance, témoigne de l’efficacité potentielle de ces approches. Une coordination accrue de ces stratégies financières pourrait asphyxier économiquement les secteurs les plus polluants.

Néanmoins, cette stratégie de sanctions présente des risques majeurs de guerre commerciale. Les pays sanctionnés peuvent riposter en imposant leurs propres mesures restrictives sur les exportations des pays « moralisateurs ». Cette escalade pourrait nuire gravement aux entreprises européennes ou américaines exportatrices, créant un effet boomerang économique difficile à anticiper.

La conditionnalité climatique des échanges commerciaux offre des perspectives intéressantes, mais elle doit être maniée avec prudence. L’intégration de clauses environnementales contraignantes dans les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux permettrait de sanctionner les mauvais élèves climatiques, tout en préservant les intérêts des entreprises nationales par des mécanismes de sauvegarde adaptés.

Le financement climatique comme levier de transformation

La mobilisation financière internationale forme un puissant instrument d’influence sur les pays émetteurs. L’engagement pris par les pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour l’action climatique dans les pays en développement, bien qu’insuffisant et partiellement respecté, illustre l’importance de ce levier.

Une approche plus ambitieuse consisterait à conditionner l’accès aux financements internationaux au respect de trajectoires de décarbonisation contraignantes. Les banques de développement multilatérales pourraient ainsi devenir des instruments de transformation énergétique en orientant massivement leurs financements vers les technologies propres.

Le transfert de technologies bas-carbone, accompagné d’un soutien financier adapté, peut également accélérer la transition des pays émergents. Cette approche « carotte » complète efficacement les mécanismes de pression plus coercitifs, en offrant aux pays concernés les moyens techniques et financiers de leur transformation.

La création d’un fonds international pour les pertes et dommages climatiques, décidée lors de la COP27, ouvre de nouvelles perspectives. Ce mécanisme pourrait évoluer vers un système de compensation directe des pays les plus vulnérables, financé par les grands émetteurs proportionnellement à leur responsabilité historique.

Vers une gouvernance climatique mondiale renforcée

L’efficacité relative des mécanismes actuels plaide pour une refonte profonde de la gouvernance climatique internationale. La création d’une organisation internationale du climat, dotée de pouvoirs contraignants, pourrait transformer radicalement la donne diplomatique.

Cette institution pourrait disposer de mécanismes de sanctions automatiques en cas de non-respect des engagements climatiques. À l’image de l’Organisation mondiale du commerce et son système de règlement des différends, une juridiction climatique internationale pourrait sanctionner les pays défaillants.

L’établissement d’un système de quotas d’émissions au niveau mondial, avec des mécanismes d’échange entre pays, représenterait une approche révolutionnaire. Ce « marché carbone planétaire » créerait une contrainte économique directe sur tous les émetteurs, indépendamment de leur niveau de développement.

La pression citoyenne internationale ne doit pas être négligée. Les poursuites judiciaires climatiques se multiplient dans le monde entier, visant autant les entreprises que les États. Ces actions en justice créent une pression légale et médiatique croissante sur les décideurs politiques et économiques.

L’urgence d’une action coordonnée

L’enjeu climatique ne souffre plus d’atermoiements. Selon le GIEC, limiter le réchauffement à 1,5°C nécessite une réduction de 45 % des émissions mondiales d’ici 2030 par rapport à 2010. Cette échéance, désormais proche, exige une mobilisation sans précédent de tous les instruments disponibles.

La concentration des émissions mondiales entre les mains d’une dizaine de pays offre paradoxalement un espoir : agir efficacement sur ces grands émetteurs pourrait déclencher une transformation climatique à l’échelle planétaire. Cette approche ciblée, combinant incitations économiques, pression diplomatique et mécanismes coercitifs, pourrait s’avérer plus efficace que les négociations multilatérales traditionnelles.

Le succès de cette stratégie repose néanmoins sur la coordination internationale des efforts et la préservation des équilibres économiques existants. Seule une coalition déterminée des pays les plus ambitieux, portée par une opinion publique mobilisée, pourra contraindre les grands émetteurs à la transformation nécessaire. L’histoire retiendra si cette génération aura su saisir cette opportunité unique d’infléchir le destin climatique de la planète, tout en préservant la stabilité des échanges internationaux.