Loyers impayés : vous pouvez désormais saisir le salaire de votre locataire, sans délai !

Depuis le 1er juillet 2025, une réforme majeure bouleverse le recouvrement des loyers impayés pour les propriétaires bailleurs. La procédure de saisie sur salaire a été considérablement simplifiée, permettant aux bailleurs de faire appel directement à un commissaire de justice pour engager une saisie sur les revenus du locataire défaillant, sans nécessiter l’autorisation préalable d’un juge.

Cette mesure, issue de la loi d’orientation du ministère de la Justice de 2023, vise à accélérer les démarches de recouvrement et à offrir une solution plus rapide aux propriétaires confrontés à des impayés.

La nouvelle procédure en détail

Avant cette réforme, le processus de recouvrement des loyers impayés nécessitait plusieurs étapes judiciaires longues et complexes. D’abord, le propriétaire devait obtenir une décision de justice condamnant le locataire à payer sa dette (un titre exécutoire), puis solliciter une seconde décision autorisant la saisie sur salaire.

Depuis le 1er juillet 2025, le processus a été simplifié :

  1. Pour entamer la procédure, le propriétaire doit d’abord disposer d’un titre exécutoire – décision de justice ou bail notarié – attestant la dette locative
  2. Le bailleur mandate un commissaire de justice pour adresser un commandement de payer au locataire
  3. Ce commandement est inscrit sur le registre numérique des saisies des rémunérations dès sa signification
  4. Le locataire dispose d’un délai d’un mois pour contester ou négocier l’injonction de payer
  5. Si aucun accord n’est trouvé, le commissaire de justice peut directement procéder à la saisie d’une partie du salaire ou des revenus du locataire (pensions de retraite, indemnités de chômage)

Le président de la chambre des propriétaires de Bordeaux, de la Gironde et de la Dordogne, considère cette réforme comme « une véritable amélioration », permettant aux propriétaires de « récupérer de l’argent plus vite ».

La situation des loyers impayés en France : état des lieux

Le phénomène des loyers impayés représente un problème persistant sur le marché locatif français. En 2025, le taux national moyen d’impayés de loyer s’élève à 3,50%, un chiffre en apparence modeste mais qui s’inscrit dans une tendance haussière depuis 20 ans. En 2005, ce taux n’était que de 2,10%.

La situation varie considérablement selon les régions :

  • En Île-de-France, on constate une légère amélioration, avec un taux d’impayés passant de 3,58% en 2024 à 3,43% en 2025
  • En province, la situation se dégrade, avec un taux dépassant désormais les 4% en 2025, contre 3,80% en 2024

Plus inquiétant encore, les retards de paiement de courte durée ont explosé. Les relances à J+5 pour retard de paiement concernaient seulement 6,12% des loyers en 2020 avant la crise sanitaire, contre près de 20% en 2024.

Qui sont ces locataires qui ne paient pas leur loyer ?

Derrière ces statistiques se cachent des réalités diverses qu’il convient d’examiner.

Un phénomène qui touche particulièrement le secteur social

Dans le parc social, la situation est particulièrement préoccupante. Selon une enquête nationale de janvier 2024 de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH), près de 900 000 ménages étaient en retard de paiement de leur loyer dans le parc social fin 2022, soit 19,6% des locataires HLM. Ce chiffre marque une augmentation de 2,3 points par rapport à 2021 (17,3%).

Locataires salariés vs non-salariés

Fait marquant, la gestion professionnelle des biens locatifs semble constituer un rempart efficace contre les impayés. En 2025, le taux d’impayés n’est que de 1,97% pour les logements gérés par des professionnels, contre 5,33% pour ceux gérés directement par des particuliers.

Si les statistiques officielles ne distinguent pas systématiquement les locataires salariés des non-salariés dans les situations d’impayés, les professionnels du secteur constatent une augmentation des fraudes lors de la constitution des dossiers locatifs. En 2025, 10% des dossiers déposés sont falsifiés (contre 6% seulement en 2024), avec notamment des bulletins de salaire modifiés pour gonfler artificiellement les revenus.

Des impayés malgré des revenus suffisants

Le problème n’est pas uniquement lié à l’absence de revenus. De nombreux propriétaires rapportent des cas de locataires qui, bien que disposant d’un emploi stable et de revenus suffisants, cessent de payer leur loyer. Ce phénomène, difficile à quantifier précisément, traduit parfois une stratégie délibérée, particulièrement dans un contexte où les procédures d’expulsion sont longues et complexes.

Me Romain Rossi-Landi, avocat en droit immobilier, affirme que « dans 90% de mes dossiers, mes clients récupèrent leur logement mais jamais leurs loyers impayés ». Certains locataires, souvent conseillés par leur entourage, organisent même leur insolvabilité pour échapper aux poursuites.

Les limites de la nouvelle procédure

Malgré l’enthousiasme qu’elle suscite chez de nombreux propriétaires, la nouvelle procédure de saisie sur salaire présente plusieurs limites importantes :

  1. L’obtention du titre exécutoire reste nécessaire : la procédure pour obtenir ce document officiel constatant la dette locative peut prendre plusieurs mois
  2. Un montant minimum insaisissable : il est obligatoire de laisser à la disposition du locataire une somme minimale de 646,52 euros, correspondant au « solde bancaire insaisissable »
  3. Possibilité de contestation : le locataire dispose d’un délai d’un mois pour contester la demande de saisie, ce qui peut prolonger la procédure
  4. Risque d’insolvabilité organisée : certains locataires peuvent délibérément se rendre insolvables pour échapper aux saisies
  5. La saisie ne concerne pas le RSA : contrairement aux salaires, pensions de retraite et indemnités chômage, le Revenu de Solidarité Active n’est pas saisissable

Comme le souligne une propriétaire vivant des loyers qu’elle perçoit : « Soit un bail notarié, mais bon, ça c’est très rare, mais sinon après il faut quand même passer devant un juge, et j’ai peur qu’il y ait un engorgement. »

Les expulsions en hausse inquiétante

En parallèle de cette nouvelle mesure, les chiffres des expulsions locatives sont en forte augmentation. Selon le ministère du Logement, 24 556 expulsions locatives forcées ont eu lieu en 2024, soit 29% de plus qu’en 2023.

La Chambre nationale des commissaires de justice a même observé en 2024 une augmentation de 87% des expulsions de locataires par rapport à 2023, un chiffre alarmant qui témoigne de l’aggravation de la crise du logement.

Réactions et controverses

Cette réforme est loin de faire l’unanimité. La Confédération nationale du logement (CNL), d’obédience communiste, a vivement réagi en qualifiant cette mesure de « nouvelle attaque d’ampleur contre les locataires les plus fragiles ».

Selon l’association, cette réforme permet aux commissaires de justice d’engager une saisie sur salaire « sans passer par une audience de conciliation, sans débat contradictoire. Le juge n’intervient qu’a posteriori, en cas de contestation ». La CNL estime que « cette réforme va accélérer le recouvrement des propriétaires bailleurs au mépris des droits et de la vie des locataires en situation de détresse financière ».

Conseils pour les propriétaires

Pour les propriétaires souhaitant se prémunir contre les risques d’impayés, plusieurs solutions existent :

  1. Confier la gestion à un professionnel : les statistiques montrent que le taux d’impayés est nettement plus faible pour les logements gérés par des professionnels (1,97% contre 5,33%)
  2. Vérifier rigoureusement les dossiers : face à l’augmentation des fraudes, une vigilance accrue est nécessaire lors de l’examen des pièces justificatives
  3. Opter pour un bail notarié : bien que rare, cette solution permet de disposer directement d’un titre exécutoire en cas d’impayé
  4. Souscrire une garantie loyers impayés : cette assurance, bien que représentant un coût supplémentaire, peut offrir une tranquillité d’esprit et une sécurité financière précieuse
  5. Réagir rapidement en cas d’impayé : plus la procédure est engagée tôt, plus les chances de recouvrement sont élevées

Un nouvel équilibre entre bailleurs et locataires

La simplification de la procédure de saisie sur salaire représente une avancée significative pour les propriétaires confrontés aux loyers impayés. Elle offre une solution plus rapide et moins complexe pour récupérer les sommes dues, sans nécessiter systématiquement l’intervention d’un juge.

Cette réforme s’inscrit toutefois dans un contexte tendu sur le marché locatif, avec une augmentation préoccupante des impayés et des expulsions. Si elle facilite les démarches des bailleurs, elle ne résout pas le problème fondamental des locataires véritablement insolvables ou de ceux qui organisent délibérément leur insolvabilité.

Entre droits des propriétaires et protection des locataires vulnérables, l’équilibre reste difficile à trouver. À l’heure où le logement demeure une préoccupation majeure pour les Français, cette nouvelle mesure marque néanmoins un tournant dans l’approche du traitement des loyers impayés, privilégiant la rapidité et l’efficacité au service des bailleurs.