L’UE capitule : la taxe numérique enterrée, la Big Tech jubile

Dans un revirement stratégique qui fait couler beaucoup d’encre, l’Union européenne a jeté l’éponge sur son projet de taxe numérique visant les géants technologiques américains. Une décision qui ressemble à une capitulation face aux pressions transatlantiques, mais que Bruxelles préfère présenter comme un geste de bonne volonté. Derrière les discours diplomatiques se cache pourtant une réalité moins glorieuse : les intérêts économiques ont une fois de plus primé sur les principes.

Une décision motivée par les négociations commerciales

Les coulisses de cette décision révèlent un bras de fer discret mais intense. Selon des documents internes obtenus par Politico, la Commission européenne a purement et simplement rayé la taxe numérique de son agenda budgétaire pour 2028-2035. Le timing ne doit rien au hasard : il coïncide avec la course contre la montre des négociations commerciales avec les États-Unis, dont l’échéance fatidique est fixée au 1er août 2025.

Comment expliquer ce soudain changement de cap ? Les observateurs pointent du doigt l’administration Trump, qui n’a jamais caché son hostilité envers ce qu’elle qualifie péjorativement d' »extorsion d’outre-mer ». Washington voyait dans cette taxe une mesure discriminatoire visant spécifiquement ses champions nationaux. Une perception renforcée par le fait que les GAFAM représentaient les principales cibles potentielles.

Un coût financier considérable pour l’UE

L’addition s’annonce salée pour les finances européennes. Les estimations du Centre for European Policy Studies font tourner les têtes : avec un taux à 5%, l’UE aurait pu engranger pas moins de 37,5 milliards d’euros dès 2026. À titre de comparaison, cela représente près du cinquième du budget total prévu pour 2025.

Même les projections les plus conservatrices de la Commission, établies en 2018, tablaient sur 5 milliards d’euros annuels avec un modeste taux de 3%. Des ressources qui devaient notamment servir à éponger la dette commune contractée pendant la crise COVID. Désormais, Bruxelles se retrouve dos au mur, contraint de trouver d’autres sources de financement pour combler ce trou béant.

Des taxes alternatives pour compenser

Face à cette perte sèche, la Commission européenne joue la carte de la diversification fiscale. Son nouveau cheval de bataille ? Un trio de taxes qui ne fait pas l’unanimité :

Une taxe unifiée sur les produits du tabac, qui s’attaquerait aussi bien aux cigarettes traditionnelles qu’à leurs versions électroniques. Une mesure qui fait déjà grincer des dents dans plusieurs capitales.

Une taxe sur les déchets électroniques, présentée comme une mesure écologique mais qui pourrait surtout servir de variable d’ajustement budgétaire.

Un impôt sur les sociétés élargi, ciblant les entreprises réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’UE. Un seuil qui inclurait bien plus d’entreprises que la seule tech américaine.

Problème : ces nouvelles propositions nécessitent l’accord unanime des 27 États membres. Or des pays comme l’Italie ou la Grèce ont déjà fait savoir qu’ils ne marcheraient pas sur la taxation des cigarettes électroniques. Un blocage prévisible qui risque de prolonger le casse-tête budgétaire européen.

Un historique de tentatives infructueuses

Cette nouvelle rebondissement s’inscrit dans une longue série d’échecs européens sur le front de la taxation numérique. Qui se souvient encore de la Taxe sur les Services Numériques (TSN) proposée en 2018 ? Portée par un bel enthousiasme initial, elle avait fini par sombrer sous les divisions entre États membres.

Certains pays, comme l’Allemagne ou l’Irlande, redoutaient des représailles américaines. D’autres, à l’image du Luxembourg, défendaient bec et ongles leurs intérêts économiques nationaux. Résultat : chaque tentative européenne s’est heurtée au même mur de l’unanimité.

Face à ces blocages répétés, plusieurs pays ont pris les devants. La France a été la première à instaurer sa « taxe GAFA » en 2019, suivie par une demi-douzaine d’autres États membres. Des initiatives nationales qui rapportent aujourd’hui près d’un milliard d’euros par an à l’Hexagone. Mais cette approche fragmentée comporte ses propres limites, créant un patchwork fiscal peu propice à une stratégie européenne cohérente.

L’impact sur les relations transatlantiques

En renonçant à sa taxe numérique, l’UE a surtout cherché à préserver un lien commercial vital. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1,1 trillion d’euros d’échanges en 2024, 20% des exportations européennes, 3% du PIB de l’UE. Des données qui expliquent pourquoi Bruxelles a préféré plier plutôt que risquer une guerre commerciale ouverte.

L’exemple canadien a sans doute pesé dans la balance. En juin 2025, Ottawa a dû abandonner sa propre taxe numérique sous la menace de tarifs douaniers américains. Un précédent qui a démontré l’efficacité de la méthode Trump : la carotte et le bâton, avec une nette préférence pour le second.

Les réactions des entreprises technologiques

Du côté de la Silicon Valley, l’ambiance est à la célébration. Joel Kaplan, responsable des affaires publiques chez Meta, n’a pas mâché ses mots : « Les régulations européennes ne sont rien d’autre qu’une tentative de handicaper nos entreprises prospères. » Une rhétorique guerrière qui contraste avec les déclarations plus policées des dirigeants européens.

Apple, qui vient tout juste d’écoper d’une amende de 500 millions d’euros dans le cadre du Digital Markets Act, respire également. L’entreprise a dépensé des « centaines de milliers d’heures » pour se conformer aux exigences européennes, selon ses propres termes. Un investissement qui pourrait finalement porter ses fruits grâce à ce revirement inattendu.

Perspectives d’avenir

La partie est-elle vraiment terminée ? Rien n’est moins sûr. Laurent Saint-Martin, le ministre français délégué au Commerce extérieur, a laissé entendre qu' »aucun tabou » n’existait concernant d’éventuelles mesures de rétorsion. Une manière de rappeler que la taxe numérique pourrait ressortir des cartons si les négociations venaient à capoter.

Le document final du budget européen 2028-2035, dont la publication est prévue ce 16 juillet 2025, devrait acter officiellement cet abandon. Une décision qui marque un tournant dans l’approche européenne : après des années de velléités régulatrices, Bruxelles semble privilégier la voie de l’apaisement.

Reste à savoir si ce choix stratégique permettra réellement de préserver les intérêts européens à long terme. Entre souveraineté numérique et réalisme économique, l’UE devra trouver un équilibre délicat. La balle est désormais dans le camp des États membres, qui devront assumer les conséquences de ce recul historique.