Pétition contre le tabac : étouffée par la loi Duplomb et le silence politique ?

Alors que la pétition contre la loi Duplomb pulvérise tous les records avec plus de 1,6 million de signatures en quelques jours, celle du Dr Jérôme Barrière pour l’interdiction du tabac en France peine à décoller. Lancée le 22 juillet 2025 sur le site de l’Assemblée nationale, cette dernière comptabilise seulement 1 841 signatures (au moment d’écrire) sur les 100 000 nécessaires pour obtenir une visibilité officielle.

Cette différence d’engagement interpelle et questionne les mécanismes qui président au succès d’une mobilisation populaire. D’un côté, une proposition de loi technique sur l’agriculture enflamme l’opinion publique. De l’autre, un enjeu de santé publique majeur laisse apparemment indifférent.

Le tabac : 75 000 morts par an, un fléau sous-estimé

Pourtant, les données que présente le Dr Barrière, cancérologue à Cagnes-sur-Mer, sont accablantes. Le tabac demeure la première cause de mortalité évitable en France avec 75 000 décès par an selon Santé publique France, soit l’équivalent de la population d’une ville comme Cannes ou Pau qui disparaîtrait chaque année.

Les victimes silencieuses du tabagisme passif

Plus troublant : le tabagisme passif tue chaque année entre 3 000 et 5 000 non-fumeurs, dont plusieurs centaines d’enfants. Des traces de nicotine sont détectées chez 69 % des enfants vivant dans un foyer fumeur. L’exposition fœtale multiplie par 3,6 le risque de certains cancers infantiles.

Ces statistiques placent le tabac bien au-dessus des accidents de la route, des drogues illégales ou même de l’alcool en termes de mortalité. Un décès toutes les sept minutes, une perte d’espérance de vie de 10 à 15 ans pour les fumeurs : les chiffres parlent d’eux-mêmes.

L’illusion économique des recettes fiscales du tabac

13,6 milliards d’euros de recettes contre 156 milliards de coûts

L’une des principales résistances à la lutte antitabac réside dans l’argument économique. Les opposants à l’interdiction mettent en avant les recettes fiscales générées par le tabac. En 2024, ces dernières représentent environ 13,6 milliards d’euros pour l’État français selon La Tribune.

Cependant, cette vision comptable masque une réalité économique bien plus complexe. Le coût social du tabac était évalué à 156 milliards d’euros en 2019 d’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Ce montant inclut les dépenses de santé, la perte de productivité, les décès prématurés et leurs conséquences économiques.

Le verdict sans appel du ministère de la Santé

Plus révélateur encore, le document officiel du ministère de la Santé conclut sans ambiguïté : « Le tabac ne rapporte rien à la collectivité ! ». En effet, si l’on additionne les taxes perçues (environ 15 milliards d’euros) aux économies réalisées sur les retraites non versées aux fumeurs décédés prématurément, ce montant reste largement inférieur aux seuls coûts des maladies attribuables au tabac, qui dépassent les 25 milliards d’euros annuels selon le Comité national contre le tabagisme.

Le silence politique face à l’urgence sanitaire

Pourquoi les élus soutiennent Duplomb mais ignorent le tabac

Contrairement à la pétition Duplomb qui a bénéficié du soutien massif de la gauche parlementaire, d’associations environnementales et d’une mobilisation médiatique importante, la pétition antitabac évolue dans un relatif silence. Comme le souligne lui-même le Dr Barrière sur Twitter : « à un moment il faudra un coup de pouce de politiques, de journalistes et de célébrités ».

Cette différence de traitement met en lumière les zones d’ombre de l’engagement politique français. Alors que la loi Duplomb, certes controversée, touche à des questions environnementales et agricoles mobilisatrices, la lutte antitabac semble pâtir d’une forme de résignation collective face à un fléau pourtant évitable.

L’indignation sélective des partis de gauche

Les partis de gauche, prompts à dénoncer les risques sanitaires des pesticides dans le cadre de la loi Duplomb (Ce qui n’est pas prouvé), restent étrangement silencieux sur une substance qui tue quotidiennement plus de 200 personnes en France (Ce qui est prouvé). Cette sélectivité dans l’indignation interroge sur les priorités réelles de santé publique.

Les mécanismes paradoxaux de la mobilisation citoyenne

Émotion contre raison : les ressorts de l’engagement populaire

La comparaison entre ces deux pétitions démontre les paradoxes de la mobilisation citoyenne contemporaine. D’un côté, une loi technique sur l’agriculture mobilise massivement une population urbaine souvent déconnectée des réalités agricoles. De l’autre, un enjeu de santé publique immédiat et mesurable peine à susciter l’engagement.

Cette dichotomie s’explique partiellement par la nature des enjeux. La loi Duplomb cristallise des peurs environnementales diffuses et permet un positionnement politique clair contre un gouvernement impopulaire. La lutte antitabac implique, elle, une remise en cause de libertés individuelles dans une société où le tabagisme reste banalisé.

La temporalité décisive du succès

Le succès de la pétition Duplomb tient aussi à sa temporalité : lancée immédiatement après l’adoption de la loi, elle capitalise sur l’émotion et l’indignation. La pétition antitabac, elle, s’inscrit dans un combat de long terme contre un adversaire invisible et normalisé socialement.

Les incohérences de la politique sanitaire française

Quand l’État interdit l’amiante mais autorise le tabac

Ce contraste soulève une question fondamentale sur la hiérarchisation des priorités sanitaires en France. Comment expliquer qu’une société mobilise massivement contre l’usage d’un pesticide aux effets débattus, tout en restant passive face à une substance dont la nocivité est scientifiquement établie depuis des décennies ?

Le Dr Barrière pointe cette incohérence dans sa pétition : « Nous vivons dans une société qui interdit l’amiante, le plomb dans l’essence, ou encore certaines substances chimiques dans les jouets au nom de la santé publique. Pourtant, le tabac, responsable d’une véritable hécatombe, reste légal. »

L’immunité sociale du tabac

Cette asymétrie témoigne peut-être d’une forme d’hypocrisie collective, où l’on préfère s’indigner contre des risques lointains plutôt que de remettre en cause des habitudes ancrées. Le tabac bénéficie ainsi d’une forme d’immunité sociale, protégé par des décennies de normalisation et par les intérêts économiques qu’il génère.

Le mythe de la rentabilité fiscale déconstruit

Un euro de taxe pour dix euros de coûts sociaux

L’argument des recettes fiscales du tabac mérite d’être déconstruit avec précision. Si l’État français perçoit effectivement plus de 13 milliards d’euros annuels via les taxes sur le tabac, ce montant doit être mis en perspective avec les coûts induits.

D’après les études économiques les plus récentes, chaque euro de recette fiscale du tabac génère plus de 10 euros de coûts sociaux. Cette disproportion s’explique par l’ampleur des dépenses de santé (traitements des cancers, maladies cardiovasculaires, affections respiratoires), la perte de productivité liée aux arrêts maladie et aux décès prématurés, sans compter les coûts familiaux et sociaux difficiles à quantifier.

Des recettes en chute libre

De plus, les recettes fiscales du tabac sont en baisse constante. En 2024, l’État français devrait percevoir 400 millions d’euros de moins que prévu selon Les Échos, conséquence directe de la baisse de consommation et de l’augmentation du marché parallèle.

L’influence souterraine des lobbies du tabac

Une protection implicite plus efficace que les pesticides

Le contraste entre les deux pétitions illustre aussi le poids des lobbies dans la décision politique. Alors que l’industrie agroalimentaire et les fabricants de pesticides n’ont pas réussi à empêcher la mobilisation contre la loi Duplomb, l’industrie du tabac semble bénéficier d’une protection implicite plus efficace.

Les mécanismes de l’inertie favorable au tabac

Cette protection ne s’exerce pas nécessairement par un lobbying direct, mais plutôt par la création d’un environnement normatif où la remise en cause du tabac paraît impensable. Les 27 500 buralistes français, les emplois indirects, les habitudes de consommation : autant d’éléments qui créent une inertie favorable au statu quo.

À cela s’ajoute une forme de résignation politique face à un problème perçu comme insoluble. Contrairement aux pesticides, dont l’interdiction paraît techniquement réalisable, l’interdiction du tabac soulève des questions complexes de prohibition, de marché noir et de libertés individuelles que peu de responsables politiques osent affronter.

Les limites de la démocratie participative française

L’émotion prime sur la raison sanitaire

L’échec relatif de la pétition antitabac face au succès de celle contre la loi Duplomb illustre les limites de la démocratie participative française. Elle montre que la mobilisation citoyenne obéit davantage à des ressorts émotionnels et médiatiques qu’à une analyse rationnelle des enjeux sanitaires.

Cette situation questionne également l’efficacité des campagnes de santé publique. Malgré des décennies de sensibilisation, le tabac conserve une acceptabilité sociale que n’ont pas d’autres substances pourtant moins nocives. La France compte encore près de 12 millions de fumeurs quotidiens selon les dernières données officielles.

L’aveu de faiblesse du Dr Barrière

Le Dr Barrière reconnaît lui-même les difficultés de son combat : « Je ne suis pas naïf : une interdiction poserait inévitablement la question de la prohibition, des trafics et des pertes fiscales pour l’État ». Mais il persiste : « le tabagisme est le plus grand meurtrier qui soit ».

Quelles perspectives pour la pétition antitabac ?

Un rattrapage encore possible mais difficile

Malgré ce démarrage difficile, la pétition antitabac pourrait bénéficier d’un effet de rattrapage. L’objectif fixé par le Dr Barrière de 100 000 signatures reste théoriquement atteignable, notamment si des personnalités publiques ou des associations de santé décident de la soutenir.

L’évolution du débat public pourrait également jouer en sa faveur. La prise de conscience croissante des enjeux de santé publique, accélérée par la crise sanitaire, pourrait créer un environnement plus favorable à ce type d’initiative.

Les conditions d’un hypothétique succès

Cependant, le succès d’une telle démarche nécessiterait une mobilisation comparable à celle observée pour la loi Duplomb. Cela impliquerait l’engagement d’acteurs politiques de premier plan, une campagne médiatique coordonnée et une sensibilisation massive de l’opinion publique.

La France face à ses contradictions sanitaires

La vraie question reste de savoir si la société française est prête à affronter ses contradictions en matière de santé publique. Tant que perdurera cette asymétrie entre l’indignation sélective et l’inaction face aux vrais fléaux sanitaires, des initiatives comme celle du Dr Barrière resteront marginales.

Le contraste entre ces deux pétitions constitue finalement un révélateur des priorités réelles de notre société. Il montre que la mobilisation citoyenne, malgré ses vertus démocratiques, reste tributaire de logiques médiatiques et politiques qui ne correspondent pas toujours aux enjeux de santé publique les plus urgents.

Cette situation interroge sur notre capacité collective à hiérarchiser rationnellement les risques et à agir en conséquence. Entre l’émotion immédiate face aux pesticides et l’acceptation résignée d’un tabac meurtrier, la France révèle ses zones d’ombre en matière de cohérence sanitaire.