Révélations sur Élise Lucet : la journaliste traqueuse devient la traquée

La figure emblématique de Cash Investigation fait face à une vague de critiques sans précédent. Le média Frontières a publié un documentaire de 50 minutes remettant en question les méthodes de la journaliste de France 2, tandis que France Télévisions riposte en dénonçant des « fake news ». Décryptage d’une polémique qui révèle les tensions autour du journalisme d’investigation français.

Le documentaire qui fait polémique

Le 22 juin 2025, le média Frontières a mis en ligne un documentaire intitulé « Investigation Cash : La vérité sur Élise Lucet », une contre-enquête de 50 minutes qui vise directement la journaliste vedette de France 2 Frontières. Cette production, réalisée par Arnaud FT et diffusée gratuitement sur YouTube, interroge les méthodes employées par Élise Lucet dans ses émissions Cash Investigation et Envoyé Spécial.

Le documentaire, qui a déjà cumulé plus de 380 000 vues, donne la parole à plusieurs témoins qui affirment avoir été injustement visés par les enquêtes de la journaliste. « Ma porte a été forcée deux fois. Reportage bidon. Élise Lucet a trompé son public », témoigne une femme dans le film.

Des accusations graves sur les méthodes journalistiques

L’enquête de Frontières pointe plusieurs éléments controversés dans le travail d’Élise Lucet. Le documentaire l’accuse notamment de harcèlement, de mise en scène spectaculaire et d’absence de contradictoire dans certains reportages. Une journaliste anonyme, interrogée dans le film, affirme avoir été intimidée après avoir critiqué une enquête sur le glyphosate : « Ça a été terrible parce que moi j’ai été attaqué dans ma vie privée, ils ont essayé de joindre mes proches, ma porte a été forcée deux fois. »

Le documentaire s’attarde particulièrement sur l’interview de Marc Blata, influenceur accusé d’escroquerie dans le domaine du copy trading, que les équipes de Cash Investigation sont allées interviewer à Dubaï en 2024. L’influenceur, qui avait filmé l’intégralité de l’entretien, dénonce un montage partial et des questions approximatives.

Le soutien politique de Sarah Knafo

La polémique a pris une dimension politique lorsque Sarah Knafo, députée européenne Reconquête, s’est emparée du sujet. Dans une interview accordée au média Frontières, elle qualifie Élise Lucet d' »exemple typique de la ‘rebellocrate’, la fausse rebelle, payée par nos impôts et toujours dans les combats faciles ».

L’élue rappelle qu’Élise Lucet est devenue une égérie des Black Blocs, exhibant fièrement dans son bureau une photo où des manifestants tiennent une pancarte « Élise Lucet m’a radicalisé ». Sarah Knafo critique également le choix des cibles de la journaliste : « Quand elle choisit d’attaquer l’Église catholique, ce n’est pas une cible qui la contraindra à vivre sous protection policière. En revanche, on ne l’a jamais vue dans les cités demander des comptes aux salafistes sur la place des femmes ou l’homophobie. »

Les zones d’ombre du conflit Veolia-Suez

L’une des accusations les plus sérieuses concerne un possible conflit d’intérêts dans le traitement de l’enquête sur le business de l’eau diffusée en mars 2018. Le documentaire de Frontières révèle que dans ce Cash Investigation, Élise Lucet aurait « étrangement épargné » Veolia, alors que Delphine Ernotte, patronne de France Télévisions, siège au conseil d’administration de Suez, principal concurrent de Veolia.

À l’époque, Veolia avait déjà soulevé cette question dans un courrier adressé à la rédaction, s’étonnant que « Suez, son principal concurrent, passe entre les gouttes ». Élise Lucet avait répondu en direct : « C’est vrai, Delphine Ernotte est administratrice de Suez. Mais nous avons travaillé pendant un an sur cette enquête et à aucun moment Delphine Ernotte n’est intervenue. »

La question du salaire et du coût des émissions

Le documentaire soulève également la question de la rémunération d’Élise Lucet, estimée à 25 000 euros par mois, soit plus de neuf fois le salaire moyen français. Cette somme fait d’elle l’une des françaises les plus privilégiées du pays, ce qui interroge sur la cohérence avec ses prises de position contre les « ultra-riches ».

Les coûts de production sont également pointés du doigt. Selon les informations révélées, un numéro de Cash Investigation peut coûter jusqu’à 400 000 euros, une somme considérable financée par l’argent public. À titre de comparaison, une émission comme « L’amour est dans le pré » sur M6, financée par de l’argent privé, coûte environ 300 000 euros pour trois fois plus d’audience.

La riposte de France Télévisions

Face à cette vague de critiques, la rédaction de Cash Investigation et France Télévisions ont rapidement réagi. Dans un post publié le 25 juin sur X (ex-Twitter), l’équipe annonce vouloir « rétablir certains faits, à la suite de la diffusion sur le média d’extrême droite Frontières, le 22 juin dernier, de la vidéo ‘Investigation Cash : la vérité sur Élise Lucet' ».

L’équipe dénonce « une longue liste de fake news et d’approximations » contenues dans le documentaire, promettant de donner trois exemples précis de ces inexactitudes. Cette contre-attaque marque un tournant dans la polémique, France Télévisions adoptant une stratégie de défense active pour protéger sa journaliste vedette.

Un débat sur l’indépendance du service public

Au-delà de la personnalité d’Élise Lucet, cette polémique soulève des questions fondamentales sur l’indépendance éditoriale du service public audiovisuel français. Le documentaire de Frontières interroge la neutralité des journalistes de France Télévisions, pointant un biais idéologique dans le choix des sujets traités.

L’analyse des 72 numéros de Cash Investigation présentés par Élise Lucet révèle selon ses détracteurs une orientation marquée à gauche : enquêtes contre les grandes entreprises, l’évasion fiscale, l’Église catholique ou Donald Trump, mais absence notable de sujets sur la fraude sociale ou les dérives de l’immigration.

L’impact sur l’image du journalisme d’investigation

Cette controverse intervient dans un contexte où le journalisme d’investigation français fait face à de nombreux défis. Les méthodes spectaculaires développées par Élise Lucet, comme les interviews surprises ou l’utilisation de caméras cachées, avaient déjà fait l’objet de critiques au sein de la profession.

Le journaliste Erwan Seznec avait déjà pointé dans Marianne ces « méthodes douteuses » et ce « journalisme d’investigation à sensation », provoquant une réponse virulente d’Élise Lucet sous forme de droit de réponse.

Vers une polarisation du débat médiatique

Cette polémique illustre la polarisation croissante du paysage médiatique français. D’un côté, des médias comme Frontières, positionnés à droite de l’échiquier politique, qui remettent en question les pratiques du service public. De l’autre, France Télévisions qui défend son modèle et ses journalistes face à ce qu’elle considère comme des attaques idéologiques.

L’affaire Élise Lucet révèle également les tensions autour du financement de l’audiovisuel public. Avec un budget de 4 milliards d’euros financé par l’impôt, France Télévisions fait face à des critiques récurrentes sur l’utilisation de l’argent public et l’indépendance éditoriale de ses programmes.

Cette polémique, qui ne fait que commencer, pose des questions essentielles sur l’avenir du journalisme d’investigation en France et sur l’équilibre à trouver entre engagement journalistique et neutralité du service public. Elle révèle aussi la difficulté pour les grandes figures médiatiques d’échapper à la critique dans un environnement de plus en plus polarisé.