Les déclarations d’Elvira Nabiullina au Forum économique international de Saint-Pétersbourg ont créé un choc dans les milieux économiques. La présidente de la Banque centrale russe a reconnu publiquement que l’économie de son pays touche à sa fin, avec des ressources essentielles pratiquement épuisées. Une déclaration remarquable qui révèle l’ampleur des difficultés économiques auxquelles fait face Moscou après plus de trois ans de conflit en Ukraine.
Des ressources cruciales arrivées à épuisement
Lors de sa prise de parole au prestigieux forum de Saint-Pétersbourg, Elvira Nabiullina n’a pas mâché ses mots. « Nous avons connu une croissance pendant deux ans à un rythme assez élevé parce que des ressources libres ont été mobilisées », a-t-elle déclaré. « Nous devons comprendre que beaucoup de ces ressources sont vraiment épuisées. »
Cette admission publique concerne plusieurs piliers de l’économie russe : la main-d’œuvre, les capacités de production, les réserves de capital du système bancaire et les liquidités du Fonds national de bien-être. Chacun de ces éléments montre des signes préoccupants de tarissement.
Le marché du travail russe illustre parfaitement cette situation critique. Le taux de chômage a atteint un niveau historiquement bas de 2,3%, ce qui pourrait sembler positif en apparence. Cependant, cette statistique cache une réalité plus sombre : l’émigration massive et la mobilisation militaire ont créé une pénurie de main-d’œuvre estimée à 2 millions de personnes par le gouvernement russe lui-même.
Le fonds souverain russe en chute libre
L’une des révélations les plus alarmantes concerne l’état du Fonds national de bien-être, cette réserve stratégique constituée grâce aux revenus pétroliers et gaziers. Les données révèlent l’ampleur de la crise : les actifs liquides du fonds ont chuté à 2,8 billions de roubles (environ 36,4 milliards de dollars), soit leur plus bas niveau depuis 2019.
Cette chute représente une division par trois depuis le début de la guerre. Les réserves en devises étrangères ne s’élèvent plus qu’à 153,7 milliards de yuans (environ 21 milliards de dollars), le montant le plus faible depuis la création du fonds en 2008. Quant aux réserves d’or, elles sont passées de plus de 400 tonnes avant l’invasion de l’Ukraine à seulement 139,5 tonnes aujourd’hui.
Les économistes de l’Académie présidentielle russe d’économie nationale et d’administration publique et de l’Institut Gaïdar tirent la sonnette d’alarme : à ce rythme, le fonds pourrait être complètement épuisé d’ici 2026.
Une industrie en surchauffe dangereuse
L’industrie russe fonctionne actuellement à plein régime, avec un taux d’utilisation des capacités de production qui dépasse 80%, un record dans l’histoire moderne du pays. Cette performance, qui pourrait sembler encourageante, traduit en réalité une économie en surchauffe qui puise dans ses dernières réserves.
Cette situation témoigne d’une économie entièrement mobilisée pour l’effort de guerre, où toutes les ressources disponibles sont mobilisées pour soutenir l’effort militaire. Mais contrairement aux conflits du passé, cette mobilisation économique ne peut pas s’appuyer sur des réserves infinies.
Des indicateurs économiques en berne
Les statistiques récentes confirment l’analyse pessimiste de Nabiullina. La croissance du PIB russe s’est effondrée, passant de 4,1% au dernier trimestre 2024 à seulement 1,4% au premier trimestre 2025. Pour la première fois depuis 2022, l’économie russe s’est même contractée d’un trimestre à l’autre.
Le ministre de l’Économie, Maxim Reshetnikov, a d’ailleurs admis lors du même forum que la Russie se trouvait « au bord de la récession ». Les profits des entreprises se sont effondrés de 34% en mars, et de 50% dans le secteur stratégique du pétrole et du gaz.
L’inflation, un fléau persistant
Malgré un taux directeur maintenu à 21%, l’un des plus élevés au monde, l’inflation russe reste préoccupante, oscillant autour de 10% en rythme annuel. Ce niveau, bien supérieur à l’objectif officiel de 4%, érode le pouvoir d’achat des ménages et pèse sur la rentabilité des entreprises non liées à l’armement.
Cette situation force la banque centrale à maintenir une politique monétaire restrictive qui freine l’investissement privé et limite les perspectives de croissance à long terme.
Un dilemme crucial pour le Kremlin
Les déclarations de Nabiullina s’inscrivent dans un contexte où les dirigeants économiques russes semblent envoyer un message de plus en plus clair au Kremlin. Selon des analystes, les responsables économiques disent effectivement à Vladimir Poutine qu’il est temps de choisir entre « la guerre ou l’économie ».
Cette pression s’exerce alors que les revenus énergétiques, traditionnellement le pilier de l’économie russe, continuent de décliner. Les recettes pétrolières et gazières ont chuté de 10% sur les quatre premiers mois de 2025 par rapport à la même période de l’année précédente, et de 34% pour le seul mois de mai.
Des conséquences à long terme
L’amenuisement des ressources économiques russes ne se limite pas aux chiffres actuels. Les experts s’inquiètent des conséquences structurelles à long terme de cette situation. Des analystes mettent en garde : « L’économie s’essouffle, et le déclin peut facilement se transformer en effondrement. De mauvaises décisions de la part des responsables, une nouvelle chute des prix du pétrole, de l’imprudence avec l’inflation, et la Russie pourrait se retrouver en grande difficulté. »
Le gouvernement russe explore déjà des mesures d’urgence, notamment une révision de la règle fiscale qui détermine quand et comment le fonds souverain peut être utilisé. Le seuil de déclenchement pourrait être abaissé de 60 à 50 dollars le baril, ce qui limiterait les dépenses futures mais nécessiterait potentiellement des coupes budgétaires de 1,6 billion de roubles (20,8 milliards de dollars).
Une reconnaissance tardive mais significative
Les déclarations de Nabiullina marquent un tournant dans la communication officielle russe sur l’état de l’économie. Pendant longtemps, les autorités ont maintenu un discours optimiste sur la résilience économique face aux sanctions occidentales. Cette reconnaissance publique des difficultés structurelles témoigne de l’urgence de la situation.
L’admission que les « ressources libres » sont épuisées signifie que la Russie ne peut plus compter sur les mêmes leviers économiques qui lui ont permis de maintenir une croissance artificielle pendant les deux premières années du conflit. Les réformes structurelles ou les compromis géopolitiques apparaissent désormais comme les seules alternatives viables pour éviter un effondrement économique plus large.
Cette situation économique délicate intervient à un moment crucial, où la communauté internationale maintient une pression soutenue par le biais de sanctions toujours plus ciblées. Le 17e train de sanctions de l’Union européenne, adopté en mai 2025, continue d’accroître les coûts économiques pour la Russie, rendant encore plus difficile le financement de l’effort de guerre.
Les mots de Nabiullina résonnent comme un aveu de faiblesse rarement entendu dans les cercles du pouvoir russe. Ils révèlent une économie à bout de souffle, contrainte de puiser dans ses dernières réserves pour maintenir une façade de normalité. La question n’est plus de savoir si l’économie russe traversera une crise majeure, mais quand cette crise se manifestera pleinement et quelles en seront les conséquences géopolitiques.
Sources :
https://kyivindependent.com/russias-war-fueled-economy-is-running-on-empty-central-bank-chief-warns/

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque