Un nouvel acte de vandalisme a frappé Strasbourg dans la nuit du 9 juin 2025, visant un lieu chargé d’histoire et de mémoire. Cet incident vient rappeler avec fracas que l’antisémitisme n’appartient malheureusement pas au passé, mais continue de hanter le présent malgré les efforts institutionnels et sociétaux.
L’incident du 9 juin 2025 : détails et réaction des autorités
Les faits et l’interpellation
Il était environ 23 heures ce dimanche soir lorsque les premières alertes sont parvenues aux services de police. Sur l’allée des Justes-parmi-les-nations, à deux pas de l’animation de la place des Halles, un homme de 45 ans s’acharnait contre la stèle commémorative de l’ancienne synagogue. Les témoins décrivent une scène choquante, l’individu, manifestement ivre, vidait le contenu d’une poubelle sur le monument avant de lancer des bouteilles en verre contre la Porte des Justes.
L’interpellation n’a pas traîné. Les policiers présents sur place ont maîtrisé l’homme qui présentait tous les signes d’une forte intoxication alcoolique. Mais au-delà de l’état du suspect, c’est la nature de son geste qui interpelle. Comment comprendre cette profanation d’un lieu sacré pour la communauté juive ? Simple acte d’incivilité ou manifestation d’une haine plus profonde ?
Procédure judiciaire et expertise psychiatrique
Placé en garde à vue dès le lendemain, l’homme a rapidement fait l’objet d’une hospitalisation d’office. L’expert psychiatre mandaté pour l’examiner a rendu un avis sans appel : abolition totale du discernement au moment des faits. Cette conclusion technique ne simplifie pas pour autant le traitement judiciaire de l’affaire.
Le parquet de Strasbourg se trouve face à un cas d’école. Faut-il privilégier la dimension symbolique de l’acte ou s’en tenir strictement à l’état mental du suspect ? La réponse judiciaire apportée à ce dossier pourrait créer un précédent pour le traitement des actes antisémites commis par des personnes en état d’ébriété avancée.
Réactions officielles et condamnations
Les autorités n’ont pas attendu les conclusions de l’enquête pour réagir. Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est, a pris la parole sur les réseaux sociaux pour condamner fermement ces « dégradations sur un lieu de mémoire et de souvenir ». Son message, soigneusement calibré, assure la communauté juive du « soutien et de la pleine mobilisation des services de l’État ».
Du côté de la mairie, Jeanne Barseghian a renouvelé son soutien à la communauté juive locale. « Les actes et propos antisémites n’ont pas leur place à Strasbourg, ni ailleurs », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Ces prises de position rapides témoignent de la sensibilité particulière du dossier, dans un contexte national où chaque incident antisémite fait l’objet d’une attention médiatique et politique accrue.
Contexte historique et symbolique du lieu visé
L’ancienne synagogue et son histoire tragique
Pour comprendre l’émotion suscitée par cet incident, il faut remonter le fil d’une histoire aussi riche que douloureuse. La stèle vandalisée marque l'emplacement de l’ancienne synagogue de Strasbourg, joyau architectural inauguré en 1898 qui dominait fièrement le quai Kléber. Son destin bascule avec l’arrivée des nazis en 1940.
Le 12 septembre 1940 (certaines sources évoquent le 1er octobre), les jeunesses hitlériennes mettent le feu à l’édifice après l’avoir pillé. Des rouleaux de la Torah partent en fumée sous les yeux indifférents de l’occupant. Ce n’est pas un simple acte de vandalisme, mais une volonté délibérée d’effacer toute trace de la présence juive en Alsace annexée.
Le développement du mémorial contemporain
La mémoire a fini par reprendre ses droits, mais de façon progressive, presque timide. En 1994, la station de tram voisine prend le nom d’Ancienne Synagogue les Halles ». Il faudra attendre 2012 pour voir apparaître l’allée des Justes parmi les nations, puis 2020 pour qu’une maquette en bronze de l’ancien édifice soit installée.
Le point d’orgue de ce travail mémoriel arrive le 27 janvier 2025 avec l’inauguration du jardin mémoriel de la Shoah. Fruit d’une collaboration entre la Ville et le Consistoire israélite, cet espace vert transforme radicalement la perception des lieux. D’un simple square anonyme, le site devient un lieu de recueillement à part entière.
La vulnérabilité immédiate du nouveau jardin mémoriel
Ironie du sort : à peine inauguré, le jardin mémoriel devient la cible d’incivilités diverses. Canettes vides, emballages alimentaires, détritus en tout genre… Les services municipaux doivent intervenir régulièrement pour nettoyer cet espace pourtant chargé de solennité.
Pierre Ozenne, adjoint en charge des espaces publics, tente de trouver un équilibre délicat « Nous voulons faire de ce mémoriel un lieu vivant, que les habitants puissent s’approprier sans être trop pesant, malgré sa signification. » Un exercice d’autant plus complexe que Maurice Dahan, président du Consistoire, rappelle avec justesse que « ces incivilités prouvent que le lieu a une raison d’être, qu’il y a de la vie ».
Récurrence des actes antisémites à Strasbourg
Les incidents récents de 2025
L’année 2025 s’annonçait pourtant prometteuse avec l’ouverture du jardin mémoriel. Mais les actes antisémites n’ont pas attendu pour rappeler leur persistante actualité. Début mai, deux croix gammées apparaissent près du monument des Justes. La première, petite mais parfaitement formée, est découverte par des policiers en patrouille. La seconde, bien plus imposante (50 cm de côté), est repérée quelques heures plus tard.
Avril avait déjà vu une trentaine de dégradations au cimetière israélite de Cronenbourg. Si aucune inscription antisémite n’y figurait, la concentration d’actes vandaliques dans un lieu aussi symbolique ne peut laisser indifférent. Ces incidents successifs dessinent une inquiétante tendance à la répétition.
Les précédents de 2019 et leur résolution
Les Strasbourgeois ont encore en mémoire l’émotion suscitée en mars 2019 par la stèle retrouvée renversée. L’enquête révélera qu’il s’agissait d’un banal accident de voiture un client de boîte de nuit mal garé mais le choc initial en dit long sur la sensibilité de la communauté juive.
En août 2020, plus d’ambiguïté possible : un homme de 38 ans agresse un graffeur portant un T-shirt « Israël » avant d’écrire « interdit aux juifs » sur le sol. Le procès en comparution immédiate qui s’ensuit montre la détermination des autorités à combattre l’antisémitisme sous toutes ses formes.
Le contexte national d’augmentation des actes antisémites
Strasbourg n’est malheureusement pas une exception. La maire Jeanne Barseghian le rappelait lors de l’inauguration du jardin mémoriel : « Les actes antisémites ont été multipliés par quatre dans notre pays. » Les chiffres du Crif confirment cette inquiétante tendance, illustrée récemment par les jets de peinture sur le Mémorial de la Shoah à Paris.
Dans ce contexte, chaque incident local prend une résonance nationale. Les autorités strasbourgeoises en ont parfaitement conscience, qui multiplient les déclarations fermes et les gestes symboliques pour rassurer une communauté juive légitimement inquiète.
Impact sur la communauté juive et mesures de protection
Réactions de la communauté juive locale
Maurice Dahan, président du Consistoire israélite du Bas-Rhin, suit ces dossiers avec une attention particulière. Chaque incident, chaque dégradation, chaque graffiti antisémite est soigneusement documenté, analysé, porté à la connaissance des autorités. Cette vigilance constante témoigne d’une inquiétude sourde mais bien réelle.
Thierry Roos, à l’origine du projet de jardin mémoriel, garde pourtant une vision optimiste : « Strasbourg capitale européenne, diplomatique, ville symbole de la souffrance mais aussi de la réconciliation se devait d’avoir un monument de la Shoah. » Un bel idéal qui se heurte pourtant à la réalité des dégradations répétées.
Stratégies de prévention et de surveillance
Face à cette recrudescence, les autorités ont mis en place un dispositif complet. Caméras de surveillance, patrouilles régulières, collaboration étroite avec le Consistoire… Chaque moyen est mobilisé pour protéger ces lieux de mémoire devenus malgré eux des symboles de la lutte contre l’antisémitisme.
L’efficacité de ce système a été démontrée lors des incidents de mai 2025, où les croix gammées ont été rapidement identifiées et effacées. Mais la technologie ne peut tout prévenir, surtout face à des actes impulsifs comme celui du 9 juin.
Mesures de réparation et de solidarité
Chaque acte de vandalisme donne lieu à une réponse systématique, dépôt de plainte, nettoyage immédiat, déclaration officielle. Cette routine bien rodée vise autant à réparer les dégâts qu’à rassurer la communauté juive sur la détermination des pouvoirs publics.
Le jardin mémoriel lui-même constitue une réponse à long terme. En transformant un lieu de souffrance en espace de vie et de transmission, la Ville espère ancrer durablement la mémoire dans le paysage strasbourgeois. Un pari audacieux qui devra résister à l’épreuve du temps… et des incivilités.
Pour conclure, l’acte de vandalisme du 9 juin 2025, pour isolé qu’il paraisse, s’inscrit dans une séquence préoccupante pour Strasbourg. Entre les croix gammées de mai, les dégradations du cimetière de Cronenbourg et les incivilités répétées au jardin mémoriel, c’est toute la question de la protection des lieux juifs qui se pose avec acuité.
Les autorités locales semblent avoir pris la mesure du défi, multipliant les dispositifs de protection et les gestes symboliques. Mais face à un antisémitisme qui se renouvelle sans cesse, la réponse ne peut être que globale : éducation, prévention, répression et travail de mémoire doivent avancer de concert.
Le jardin mémoriel de la Shoah, malgré les attaques dont il fait déjà l’objet, représente peut-être la meilleure réponse à long terme. En intégrant la mémoire juive dans le paysage quotidien des Strasbourgeois, il offre une chance de faire reculer l’ignorance – terreau fertile de toutes les haines.