Tabac : la baisse en France est-elle réelle… ou masquée par le marché noir ?

Le déclin annoncé du tabagisme en France fait régulièrement l’objet de vifs débats. D’un côté, les statistiques officielles célèbrent une tendance historique à la baisse. De l’autre, certains experts pointent l’ombre portée d’un marché noir en pleine expansion. Entre chiffres encourageants et réalités souterraines, où se situe vraiment la vérité ?

Une baisse historique confirmée par les statistiques officielles

baisse vente de tabac

En 2023, il s’est écoulé moins de 1,5 milliard de paquets, ce qui représente une baisse de plus de 8% par rapport à 2022. En 2024, cette tendance s’est poursuivie avec une chute de 11,5% par rapport à 2023, atteignant un « niveau historiquement bas » selon l’OFDT.

Les derniers chiffres publiés par Santé publique France ne laissent guère de place au doute. En 2023, seulement 23,1% des adultes âgés de 18 à 75 ans déclaraient fumer quotidiennement. Un record à la baisse qui marque un tournant dans la lutte contre le tabagisme. La tendance s’est confirmée en 2024 avec un taux stable autour de 23%.

Derrière ces pourcentages se cache une réalité encore plus frappante. Les volumes de tabac vendus légalement ont connu une chute vertigineuse, perdant 12% en seulement un an. Les buralistes le constatent chaque jour, leurs clients habituels sont moins nombreux, et ceux qui persistent achètent souvent moins.

Le recul spectaculaire chez les jeunes

Si la baisse est nette dans toutes les tranches d’âge, c’est chez les adolescents que le changement est le plus frappant. Imaginez : en seulement cinq ans, le taux de fumeurs quotidiens chez les 17 ans est passé de 25% à 16%. Presque un adolescent sur deux déclarait avoir essayé la cigarette en 2014. Ils ne sont plus qu’un sur trois aujourd’hui.

Cette évolution ne doit rien au hasard. Elle résulte d’une combinaison de mesures : hausse continue des prix, paquets neutres, interdiction de fumer dans les lieux publics, et surtout un changement profond des mentalités. La cigarette n’a plus la même image chez les jeunes générations.

L’explosion du marché noir : un contrepoint inquiétant

Mais cette belle success story aurait-elle une face cachée ? Certains experts soulignent que la baisse des ventes légales pourrait simplement masquer un transfert vers des circuits parallèles. Et les chiffres, sur ce point, donnent effectivement à réfléchir.

Selon une étude récente, près d’une cigarette sur deux consommée en France proviendrait du marché noir. Un chiffre qui fait bondir les spécialistes : comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse tient en partie à l’écart croissant entre les prix légaux et ceux pratiqués sous le manteau. Quand un paquet coûte près de 12,50 euros en bureau de tabac, la tentation est forte de se tourner vers des alternatives moins chères.

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« En 2024, près d’une cigarette sur deux (49,4%) a été achetée en dehors du réseau des buralistes, qui ont pourtant le monopole de la commercialisation du tabac. 24,7 milliards de cigarettes (sur un total de 49,9 milliards) ont ainsi été vendues hors des bureaux de tabac. Un nombre en hausse de 13% par rapport à 2023. »

Une progression qui interroge

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Le phénomène n’est pas nouveau, mais son ampleur actuelle inquiète. En douze ans, la part du marché parallèle serait passée de 21% à près de 50% selon certaines estimations. La France serait ainsi devenue le champion européen des cigarettes illégales, concentrant à elle seule près de la moitié du trafic dans l’Union européenne.

Cette situation pose des problèmes multiples. Outre l’évasion fiscale près de 10 milliards d’euros manqueraient aux caisses de l’État, elle remet en question l’efficacité des politiques de santé publique. À quoi bon augmenter les prix si cela pousse les fumeurs vers des produits non contrôlés ?

Le grand écart des estimations

Curieusement, selon qui vous interrogez, les chiffres varient du simple au quintuple. L’industrie du tabac parle de près de 50% du marché capté par le trafic. Les organismes publics, eux, évoquent plutôt 10 à 20%. Un écart qui n’est pas sans rappeler les débats sur le chiffre noir de la délinquance.

Qui croire ? La vérité se situe probablement entre les deux. Mais une chose est sûre : même les estimations les plus basses reconnaissent l’existence d’un problème sérieux. Et quand on interroge les fumeurs eux-mêmes, près de 80% affirment encore acheter leurs cigarettes en bureau de tabac. Un chiffre stable depuis dix ans, qui relativise quelque peu l’ampleur du phénomène.

Une baisse qui résiste à l’analyse

Malgré les interrogations sur le marché noir, plusieurs indices confirment que la diminution du tabagisme est bien réelle. Les fumeurs quotidiens consomment moins de cigarettes qu’avant en moyenne 12,6 par jour contre 13,5 il y a dix ans. Les ventes de substituts nicotiniques explosent. Les centres d’aide à l’arrêt voient affluer toujours plus de demandes.

Surtout, le changement le plus significatif concerne les jeunes générations. Leur rapport au tabac a radicalement évolué, et ce n’est pas le marché noir qui explique cette transformation. La cigarette n’est plus ce rite de passage quasi obligé qu’elle était autrefois.

Une victoire à consolider

Les données suggèrent que même en tenant compte du marché noir, la France connaît une diminution réelle du tabagisme. La progression du vapotage (6,1 % de vapoteurs quotidiens en 2023) et la baisse spectaculaire chez les jeunes indiquent un changement de comportement profond plutôt qu’un simple déplacement vers des circuits illégaux.

Si le marché noir du tabac connaît effectivement une expansion préoccupante en France, cela ne remet pas en cause la réalité de la baisse du tabagisme. Les statistiques officielles, basées sur des enquêtes déclaratives indépendantes de l’industrie, confirment une diminution historique du nombre de fumeurs. Le défi pour les pouvoirs publics consiste désormais à maintenir cette tendance positive tout en luttant efficacement contre les trafics illégaux qui représentent un enjeu majeur de santé publique et de sécurité.