Le Premier ministre Sébastien Lecornu a franchi un pas significatif vers la gauche ce vendredi 3 octobre 2025, en proposant aux représentants du Parti socialiste une nouvelle approche de la taxation des hauts patrimoines. Cette proposition, qui vise spécifiquement les holdings tout en épargnant les biens professionnels, s’inscrit dans un contexte budgétaire tendu et constitue une alternative à la controversée taxe Zucman.
Une taxe ciblée sur le patrimoine financier
Lors de sa rencontre avec les socialistes à Matignon, Sébastien Lecornu a détaillé sa vision d’une fiscalité plus équitable pour les grandes fortunes. Selon son entourage, le Premier ministre s’est déclaré « ouvert à la mise en place d’une taxe sur le patrimoine financier logé dans les holdings, en exonérant les biens professionnels ».
Cette approche répond à un constat largement partagé : les holdings constituent aujourd’hui un mécanisme d’optimisation fiscale particulièrement efficace pour les ultrariches. Le régime dit « mère-fille » permet aux dividendes versés par une filiale à sa société mère d’être exonérés d’impôt à 95%, créant des situations où seule une petite quote-part est imposée sur des montants considérables.
Le rejet assumé de la taxe Zucman
Sébastien Lecornu a clairement exprimé son opposition à la taxe Zucman, cette proposition d’impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Pour le Premier ministre, cette mesure est « dangereuse pour l’économie et l'emploi », selon son entourage.
La taxe Zucman, défendue par l’économiste Gabriel Zucman et soutenue par la gauche, vise à s’assurer que les foyers fiscaux disposant de plus de 100 millions d’euros de fortune contribuent chaque année au moins à hauteur de 2% du montant de leur richesse. Cette mesure concernerait environ 1800 foyers en France et pourrait rapporter entre 5 et 25 milliards d’euros selon les estimations.
La préservation des biens professionnels au cœur du débat
La principale différence entre la proposition Lecornu et la taxe Zucman réside dans le traitement des biens professionnels. Alors que la taxe Zucman inclurait l’ensemble du patrimoine, y compris les participations dans les entreprises, Sébastien Lecornu entend privilégier la création d’une taxe sur les actifs financiers logés dans les holdings qui ne touche pas le patrimoine professionnel.
Cette distinction n’est pas anodine. Les biens professionnels bénéficient actuellement d’importantes exonérations fiscales, notamment dans le cadre de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les holdings animatrices, qui exercent une activité de gestion active de leurs filiales, peuvent ainsi prétendre à ces exonérations.
Des réactions politiques mitigées
La proposition du Premier ministre n’a pas convaincu les socialistes. À sa sortie de Matignon, Olivier Faure, premier secrétaire du PS, a dénoncé « une copie alarmante et insuffisante », estimant qu’il y a bien un début de rupture sur la forme mais sur le fond, rien n’a changé.
Cette réaction illustre la difficulté de Sébastien Lecornu à ménager les différentes sensibilités politiques. D’un côté, il doit répondre aux attentes de la gauche en matière de justice fiscale, de l’autre, il souhaite préserver l’attractivité économique de la France et éviter l’exil fiscal des grandes fortunes.
Un contexte budgétaire sous contrainte
Cette proposition s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement tendu. La dette publique française s’élevait à 3 345 milliards d’euros au premier trimestre 2025, soit 113,9% du PIB. Le gouvernement vise un déficit de 4,7% du PIB en 2026, ce qui nécessite de dégager de nouvelles recettes tout en maîtrisant les dépenses.
Dans ce cadre, la taxation des holdings apparaît comme un compromis politique. Selon les informations de Bercy, cette mesure ciblerait spécifiquement le patrimoine financier détenu au sein des holdings et pourrait concerner les trésorieries excédentaires des grandes fortunes.
Les enjeux techniques et juridiques
La mise en œuvre d’une telle taxe soulève plusieurs défis techniques. Contrairement à d’autres dispositifs fiscaux, il serait impossible de modifier la fiscalité des flux de dividendes vers les maisons mères, ceux-ci étant régis par une directive européenne du 23 juillet 1990, difficilement amendable.
Cette contrainte européenne explique pourquoi la proposition Lecornu se concentre sur les actifs financiers détenus au sein des holdings plutôt que sur les mécanismes de transmission des dividendes eux-mêmes.
L’équilibre entre justice fiscale et compétitivité
La proposition du Premier ministre reflète une volonté d’équilibrer plusieurs impératifs. D’une part, il reconnaît que certaines optimisations fiscales de très grandes fortunes ne sont pas défendables. D’autre part, il souhaite préserver les mécanismes qui encouragent l’investissement productif et l’entrepreneuriat.
Cette approche s’appuie sur des travaux de recherche récents montrant que les milliardaires paient proportionnellement deux fois moins d’impôts que la moyenne des Français, tous prélèvements confondus, selon l’Institut des politiques publiques.
Les perspectives budgétaires
Sébastien Lecornu a également annoncé qu’il renonçait à utiliser l’article 49.3 de la Constitution, ouvrant la voie à un débat parlementaire sur ces questions fiscales. Cette décision, saluée par l’opposition, place le Parlement au cœur des arbitrages budgétaires pour 2026.
Le Premier ministre a par ailleurs promis aux socialistes une mesure de pouvoir d’achat dans le budget, confirmant que tous les scénarios sont sur la table selon son entourage.
Une stratégie de compromis
La stratégie de Sébastien Lecornu semble viser un compromis entre les exigences de redressement des finances publiques et la préservation de l’attractivité économique française. En ciblant spécifiquement les holdings tout en préservant les biens professionnels, il tente de répondre aux critiques sur l’optimisation fiscale sans décourager l’investissement productif.
Cette approche reste cependant fragile politiquement. Les socialistes jugent la proposition insuffisante, tandis que la droite et le centre craignent les effets sur la compétitivité française. L’issue de ces négociations budgétaires déterminera l’avenir du gouvernement Lecornu et l’orientation de la politique fiscale française pour les années à venir.
La taxation des holdings s’impose ainsi comme un enjeu majeur du budget 2026, illustrant les défis auxquels fait face la France pour concilier justice fiscale, redressement des comptes publics et maintien de son attractivité économique dans un contexte européen contraint.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque