Le débat sur la fiscalité des dividendes divise la France et soulève des questions cruciales sur l’optimisation fiscale pratiquée par les grandes fortunes. L’idée d’instaurer une taxation de 30% directement à la distribution des dividendes s’impose progressivement comme une solution potentielle pour lutter contre les stratégies d’évitement fiscal, notamment celles exploitant les « super PEA » et autres véhicules d’investissement privilégiés.
Le système fiscal français actuel : une faille exploitée par les plus fortunés
En France, la fiscalité des dividendes repose principalement sur le prélèvement forfaitaire unique (PFU), également appelé « flat tax », instauré en 2018. Ce système impose actuellement les dividendes au taux global de 30%, composé de 12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux.
Cependant, cette taxation n’intervient qu’au niveau du bénéficiaire final, créant de nombreuses opportunités d’optimisation. Les études académiques, notamment celle de Laurent Bach et ses collègues publiée en 2024, démontrent que les propriétaires-dirigeants exploitent massivement cette flexibilité temporelle pour optimiser leurs revenus. (Source : HAL Sciences)
Les PEA et PEA-PME : des outils d’optimisation fiscale pour les grandes fortunes
Le Plan d’épargne en actions (PEA) offre une exonération totale d’impôt sur le revenu après cinq ans de détention, ne laissant que les prélèvements sociaux de 17,2%. Le PEA classique est plafonné à 150 000 euros, mais le PEA-PME, créé pour soutenir les petites et moyennes entreprises, permet des versements jusqu’à 225 000 euros (Source : Service Public)
Cette différence de plafond crée ce qu’on appelle les « super PEA » – des montages permettant de cumuler plusieurs enveloppes pour un total de 375 000 euros par personne (750 000 euros pour un couple). Pour les grandes fortunes comme celles liées à LVMH, ces plafonds peuvent sembler dérisoires, mais ils s’inscrivent dans des stratégies d’optimisation plus larges.
Le cas LVMH : un exemple emblématique d’optimisation fiscale
Bernard Arnault, patron de LVMH, cristallise les critiques sur l’optimisation fiscale des grandes fortunes. Selon une analyse de Plan Cash, son taux d’imposition moyen s’élève à moins de 14% sur ses revenus annuels de 1,3 milliards d’euros. Cette situation s’explique par la structure complexe de détention de LVMH et les mécanismes de distribution des dividendes.
Les dividendes de LVMH transitent par Christian Dior SE, qui bénéficie du régime mère-fille permettant une exonération de 95% de l’impôt sur les sociétés. Avec un taux d’IS à 25%, cela représente une imposition effective de seulement 1,25% sur les dividendes avant leur redistribution. (Source : L’Informé)
Les limites du système actuel et les tentatives de réforme
Le gouvernement français a tenté plusieurs approches pour limiter ces optimisations. En 2024, la loi de finances a introduit des mesures contre les pratiques d’arbitrage de dividendes, notamment les montages « CumCum » qui permettaient d’échapper aux retenues à la source . (Source : TV5Monde)
L’étude de Bach et ses collègues révèle que les réformes précédentes de la flat tax ont eu des effets limités sur l’investissement productif. En revanche, elles ont généré des comportements massifs d’optimisation temporelle. Lors de la hausse de taxation en 2013, les propriétaires-dirigeants ont réduit leurs dividendes de 20%, stockant les profits dans l’entreprise. Inversement, la baisse de 2018 a provoqué une extraction massive de liquidités sans impact sur l’investissement.
Pourquoi une taxation à la source de 30% pourrait-elle être efficace ?
L’instauration d’une retenue à la source de 30% sur tous les dividendes distribués présenterait plusieurs avantages structurels.
Élimination de l’optimisation temporelle : En imposant immédiatement les dividendes dès leur distribution, cette mesure supprimerait la possibilité de différer l’imposition en retardant les versements. Les propriétaires-dirigeants ne pourraient plus utiliser leur entreprise comme « véhicule fiscal » pour optimiser le moment de perception des revenus.
Simplification du contrôle fiscal : Une taxation uniforme à la source faciliterait considérablement le contrôle de l’administration fiscale. Actuellement, la complexité des montages patrimoniaux rend difficile le suivi des flux de dividendes et de leur imposition effective.
Neutralité concurrentielle européenne : La France affiche déjà un taux de taxation des dividendes de 34% selon la Tax Foundation, la plaçant au quatrième rang européen. Une taxation à la source de 30% resterait dans cette fourchette haute tout en garantissant son application effective.
Réduction des inégalités fiscales : L’économiste Gabriel Zucman a démontré que les milliardaires français ne paient effectivement que 0,5% d’impôts rapportés à leur patrimoine, contre des taux bien supérieurs pour les classes moyennes. (Source : Elucid Media)
La taxe Zucman : une révolution fiscale pour la France ou un mirage économique ?
Les défis et résistances à surmonter
Cette réforme rencontrerait néanmoins plusieurs obstacles majeurs.
Risque de délocalisation : Les grandes fortunes pourraient être tentées de transférer leurs participations vers des juridictions plus favorables, bien que les règles européennes limitent ces possibilités pour les résidents fiscaux français.
Impact sur les investissements étrangers : Une taxation systématique pourrait décourager les investissements de fonds étrangers dans les entreprises françaises, nécessitant des aménagements dans les conventions fiscales internationales.
Complexité des montages existants : Les structures actuelles de détention, souvent établies sur plusieurs décennies, rendraient l’application immédiate de cette mesure techniquement complexe.
Résistance du secteur financier : L’industrie de la gestion de patrimoine, qui prospère grâce à l’optimisation fiscale, exercerait probablement un lobbying intense contre cette réforme.
Les enseignements des échecs précédents
L’histoire fiscale française regorge de tentatives avortées de taxation des grandes fortunes. L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé en 2018, avait généré de nombreux départs de contribuables fortunés sans apporter les recettes escomptées.
Cependant, une taxation à la source des dividendes présente un profil différent. Elle vise un flux de revenus plutôt qu’un stock de patrimoine, rendant l’évitement plus difficile. De plus, elle s’appliquerait au moment de la distribution, capturant la valeur avant sa sortie du territoire français.
Vers une approche européenne coordonnée
La solution réside probablement dans une coordination européenne, à l’image des discussions en cours sur la taxation minimale des multinationales. Gabriel Zucman propose d’ailleurs une « taxe plancher » sur les grandes fortunes qui pourrait s’articuler avec une taxation renforcée des dividendes.
L’Union européenne travaille déjà sur l’harmonisation des retenues à la source pour éviter les arbitrages fiscaux entre États membres. Une taxation coordonnée à 30% pourrait s’inscrire dans cette dynamique tout en préservant la compétitivité européenne face aux autres zones géographiques.
Un enjeu de justice fiscale et de financement public
Au-delà des aspects techniques, cette réforme soulève une question fondamentale de justice fiscale. Alors que les salariés subissent une retenue à la source immédiate sur leurs revenus, les détenteurs de capitaux bénéficient de multiples possibilités d’optimisation temporelle et structurelle.
Les enjeux budgétaires sont considérables. Selon les estimations, une taxation effective à 30% des dividendes des grandes fortunes pourrait rapporter plusieurs milliards d’euros supplémentaires au budget de l’État, permettant de financer des investissements publics ou de réduire d’autres prélèvements.
Une mesure nécessaire mais insuffisante
La taxation des dividendes à 30% directement à la distribution constituerait indéniablement un progrès dans la lutte contre l’optimisation fiscale des grandes fortunes. En supprimant les possibilités d’arbitrage temporel et en simplifiant le contrôle fiscal, elle contribuerait à restaurer une forme d’équité fiscale.
Cependant, cette mesure ne saurait être isolée. Elle devrait s’accompagner d’une réforme plus globale de la fiscalité du capital, incluant la fermeture des niches fiscales, le renforcement des moyens de contrôle et une meilleure coordination internationale.
L’exemple de LVMH et des « super PEA » illustre parfaitement les limites du système actuel. Mais au-delà des symboles, c’est bien la crédibilité de notre système fiscal dans son ensemble qui est en jeu. Une taxation équitable et efficace des dividendes pourrait constituer un premier pas vers une fiscalité plus juste, à condition d’avoir la volonté politique de la mettre en œuvre malgré les inévitables résistances.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque