La décision de Donald Trump d’imposer des droits de douane massifs sur les produits européens a fait l’effet d’une bombe à Bruxelles. Derrière les déclarations officielles et les condamnations de principe, une réalité s’impose : tous les pays européens ne seront pas logés à la même enseigne. Certains ont mis trop d’œufs dans le même panier américain.
L’ampleur du défi commercial transatlantique
Quand Trump parle de « rétablir l’équité commerciale », les chiffres qu’il brandit font trembler les chancelleries européennes. 235,6 milliards de dollars de déficit commercial avec l’UE en 2024, voilà le prétexte invoqué pour justifier cette offensive tarifaire. Pourtant, derrière ce chiffre global se cachent des réalités bien différentes selon les pays.
Prenez l’Allemagne et l’Irlande. Ces deux pays représentent à eux seuls près de 60% de l’excédent commercial européen avec les États-Unis. Une concentration qui ressemble à une cible parfaite pour l’administration américaine. À l’inverse, des pays comme la Grèce ou le Portugal apparaissent presque comme des spectateurs dans ce conflit commercial.
Les secteurs les plus exposés
Imaginez un instant les bureaux de la Commission européenne ce 12 juillet 2025. Les cartes des vulnérabilités sectorielles s’allument comme un sapin de Noël :
Pharmacie en rouge vif avec 120 milliards d’euros d’exportations. Automobile en orange avec 51 milliards. Machines-outils en jaune avec 34 milliards. Chaque secteur représente des milliers d'emplois, des filières entières qui vont devoir se réinventer du jour au lendemain.
L’Allemagne : la puissance exportatrice en première ligne
Comment expliquer autrement que par une dépendance maladive aux exportations que l’Allemagne représente à elle seule 43% des exportations européennes vers les États-Unis ? 161,2 milliards d’euros en 2024. Un chiffre qui donne le vertige et qui explique pourquoi Berlin pousse pour une réponse ferme de l’UE.
Le cas Volkswagen est emblématique de cette vulnérabilité. Le géant allemand, qui écoule près de 15% de sa production outre-Atlantique, n’a toujours pas d’usine d’assemblage pour sa marque Audi aux États-Unis. Une erreur stratégique qui pourrait lui coûter cher aujourd’hui.
Les douleurs allemandes
Quatre secteurs vont saigner :
L’automobile bien sûr, avec ces usines qui tournent à plein régime pour exporter des SUV premium vers la Californie. Les machines-outils, ces bijoux de technologie made in Germany qui équipent les usines américaines. La sidérurgie, déjà malmenée par les précédents droits de douane. Et les biens d’équipement, ces produits haut de gamme qui font la réputation de l’industrie allemande.
L’Irlande : le miracle économique en péril
L’Irlande, ce petit pays de 5 millions d’habitants, se retrouve paradoxalement en deuxième position des pays les plus exposés. Son secret ? Avoir séduit toutes les grandes firmes pharmaceutiques américaines. Pfizer, Johnson & Johnson, Lilly… Tous ont élu domicile à Dublin ou Cork, attirés par une fiscalité avantageuse et une main-d’œuvre qualifiée.
Le résultat est stupéfiant : 91% des exportations irlandaises vers les États-Unis sont des médicaments. Une concentration folle qui fait trembler les comptes publics. Car derrière ces chiffres, il y a 210 000 emplois directs et 83% des recettes de l’impôt sur les sociétés. Un modèle qui tient sur un fil.
Un effet domino redouté
Les analystes prédisent le pire : jusqu’à 80 000 emplois perdus et une contraction du PIB de 3,7% d’ici 2030. Pour un pays qui a misé toute sa stratégie sur l’attractivité fiscale, le choc pourrait être existentiel. D’autant que les usines pharmaceutiques, contrairement aux sièges sociaux, peuvent parfaitement déménager.
L’Italie : le « Made in Italy » sous les balles
Qui aurait cru que les fromages italiens se retrouveraient en ligne de mire d’une guerre commerciale ? Pourtant, avec 40 867 tonnes exportées vers les États-Unis en 2024, l’Italie est devenue le premier exportateur mondial devant la France. Un succès qui pourrait se transformer en cauchemar.
La Lombardie, l’Émilie-Romagne et la Toscane sont en alerte maximale. Ces régions, qui concentrent l’essentiel des exportations italiennes vers les États-Unis, vivent au rythme des tractations commerciales. Leur crainte ? Voir des décennies d’efforts pour promouvoir l’excellence italienne réduites à néant par un coup de crayon présidentiel.
Les secteurs en sursis
Trois industries retiennent particulièrement l’attention :
Les boissons, où 39% des exportations partent vers les États-Unis. L’automobile, avec des marques comme Ferrari ou Lamborghini qui symbolisent le rêve américain. Et bien sûr l’agroalimentaire, ce joyau de l’art de vivre italien qui représente des milliers de PME familiales.
La France : entre aéronautique et art de vivre
La France semble moins exposée que ses voisins, avec « seulement » 48,5 milliards d’euros d’exportations vers les États-Unis. Mais cette relative modération des chiffres cache une vulnérabilité qualitative. Car ce sont les fleurons de l’industrie française qui sont dans le collimateur.
Prenez l’aéronautique. 18,8% des exportations françaises vers les USA, soit 9,1 milliards d’euros. Airbus peut bien avoir une usine en Alabama, ses sous-traitants hexagonaux, eux, n’ont pas cette chance. Même dilemme pour le luxe : comment délocaliser les vignobles de Cognac ou les ateliers parisiens de haute couture ?
Le casse-tête des vins et spiritueux
Les professionnels ont encore en mémoire les droits de douane de 25% imposés sous le premier mandat Trump. Cette fois, avec 30% sur la table, c’est une véritable épée de Damoclès qui plane sur une filière qui emploie 600 000 personnes. Le cognac, dont 40% de la production part outre-Atlantique, serait le premier touché.
Une Europe à plusieurs vitesses
Au final, cette crise commerciale agit comme un révélateur des failles européennes. L’Irlande et son modèle hyper-spécialisé. L’Allemagne et sa dépendance aux exportations. L’Italie et ses produits d’exception. La France et ses champions industriels. Chaque pays devra trouver sa propre parade, tout en maintenant une façade européenne unie.
Une chose est sûre : quand les droits de douane entreront en vigueur le 1er août, ce ne seront pas des statistiques qui seront touchées, mais des emplois, des usines, des territoires. La vraie question est : l’Europe est-elle prête à payer le prix de sa souveraineté commerciale ?

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque