Depuis 2020, les finances publiques françaises connaissent une dégradation notable, avec des recettes de l’État qui peinent à retrouver leur niveau d’avant-crise. Cette érosion des recettes trouve ses origines dans une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels qui mérite une analyse approfondie.
La crise Covid-19, un choc inédit sur les recettes publiques
La pandémie de Covid-19 a marqué un tournant dans l’évolution des recettes publiques françaises. En 2020, l’effondrement de l’activité économique a entraîné une chute drastique des rentrées fiscales. Le Monde soulignait que la différence entre la prévision de déficit du début d’année et celle de juin 2020 s’expliquait pour moitié par une baisse des recettes fiscales.
Cette crise sanitaire a révélé la forte dépendance des recettes publiques à la conjoncture économique. Lorsque l’activité ralentit, les entreprises génèrent moins de bénéfices, les ménages voient leurs revenus diminuer, et la consommation chute, affectant directement la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu.
Les réformes fiscales du quinquennat Macron
L’une des causes majeures de l’érosion des recettes réside dans les réformes fiscales mises en œuvre depuis 2017. La transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) représente l’une des mesures les plus significatives. Selon Capital, la perte de recettes fiscales liée à cette transformation s’élèverait à 4,5 milliards d’euros en 2022. L’ISF rapportait environ 5 milliards d’euros en 2017, tandis que l’IFI n’a généré que 1,56 milliard d’euros en 2020, selon Moneyvox.
La suppression progressive de la taxe d’habitation, achevée en 2023, constitue un autre facteur d’érosion des recettes. Cette mesure, qui visait à alléger la fiscalité des ménages, a privé l’État d’une source de revenus importante, même si une compensation a été mise en place pour les collectivités locales.
Résumé : ISF/IFI – Pertes et gains de la réforme
Pertes budgétaires :
- 4,5 milliards d’euros de manque à gagner en 2022 selon France Stratégie
- L’ISF rapportait 5,1 milliards d’euros en 2017
- L’IFI ne rapporte que 1,83 milliard d’euros en 2022
- Soit une perte nette malgré la hausse des prix immobiliers
Gains obtenus :
1. Réduction de l’expatriation fiscale :
Inversion des flux : depuis 2018, plus de retours (380) que de départs (260) par an
Avant : 950 départs contre 370 retours par an sous l’ISF
2. Effet sur l’investissement :
Augmentation théorique des investissements productifs (actions, entreprises)
Mais : pas de réorientation mesurable du patrimoine vers les actifs non-immobiliers
3. Création d’entreprises :
Effet positif modeste : +0,3 point de taux de création pour 1 point de baisse d’impôt
Impact agrégé très faible : 0,01% de la valeur ajoutée des entreprises
4. Attractivité économique :
Maintien du rang de la France (1ère en Europe pour les investissements étrangers)
Signal politique d’amélioration du climat des affaires
Bilan net :
Coût élevé (4,5 Md€) pour des gains économiques mesurés et difficiles à quantifier. La réforme a atteint certains objectifs (réduction expatriation, signal attractivité) mais n’a pas généré les effets économiques massifs espérés, notamment sur la réallocation du patrimoine vers l’investissement productif.
L’explosion des niches fiscales et sociales
Le système fiscal français souffre d’un mal chronique : la prolifération des dispositifs dérogatoires. Selon la Cour des comptes, les dépenses fiscales ont atteint 83,3 milliards d’euros en 2024, en hausse de 4,55 milliards d’euros par rapport à la prévision initiale.
Le site officiel La Finance pour tous indique que les 474 niches fiscales existant en France représentent un coût cumulé d’environ 85 milliards d’euros, soit plus du quart des recettes fiscales totales de l’État. Ce montant considérable illustre l’ampleur de l’érosion de la base fiscale.
Les niches sociales connaissent également une forte progression. Selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale, le manque à gagner provenant des exonérations de cotisations sociales est passé de 74,3 milliards d’euros en 2021 à 87 milliards d’euros en 2023.
Résumé : Niches fiscales et sociales – Gains et pertes
Pertes budgétaires massives :
85 milliards d’euros de niches fiscales (474 dispositifs)
87 milliards d’euros de niches sociales en 2023 (+17% depuis 2021)
Total : 172 milliards d’euros de manque à gagner
Soit plus du quart des recettes fiscales de l’État
Gains théoriques recherchés :
1. Objectifs économiques :
Soutien à l’investissement (crédit impôt recherche, dispositifs immobiliers)
Création d'emplois (allégements de charges sur bas salaires)
Développement de secteurs stratégiques (culture, environnement, outre-mer)
2. Objectifs sociaux :
Réduction des inégalités (quotient familial, prime d’activité)
Soutien aux ménages modestes (crédit d’impôt, réductions)
Incitations comportementales (dons, épargne retraite)
3. Objectifs d’aménagement du territoire :
Zones franches, dispositifs outre-mer
Soutien aux territoires ruraux
Problèmes identifiés :
1. Efficacité douteuse :
Beaucoup de dispositifs aux effets non mesurés
Effets d’aubaine importants (bénéficiaires qui auraient agi sans l’incitation)
Complexité administrative croissante
2. Ciblage défaillant :
Certaines niches profitent plus aux aisés qu’aux modestes
Superposition de dispositifs aux objectifs similaires
3. Coût d’opportunité :
172 milliards qui pourraient financer des baisses d’impôts générales
Ou réduire significativement le déficit public
Bilan net :
Coût budgétaire énorme (172 Md€) pour une efficacité économique et sociale largement questionnée par la Cour des comptes.
Le système français s’est complexifié au point que le « coût » des niches dépasse largement le budget de l’Éducation nationale (58 Md€). Cette inflation témoigne d’une gouvernance fiscale par addition successive plutôt que par vision d’ensemble.
A lire : Aides publiques : 211 milliards d’euros pour quoi, pour qui ?
La flat tax : un succès en trompe-l’œil face à l’optimisation des grandes fortunes
La mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30% en 2018 a effectivement incité de nombreux contribuables à déclarer davantage de revenus du capital. Les dividendes déclarés par les ménages ont bondi de 14 milliards d’euros en moyenne entre 2013-2017 à 23 milliards d’euros entre 2018-2020, soit une hausse de 64%.
Cette augmentation des déclarations a permis un autofinancement partiel de la réforme, contrairement aux prévisions initiales qui tablaient sur un coût budgétaire de 1,5 milliard d’euros. L’effet incitatif de la flat tax sur la transparence fiscale est donc réel pour une partie des contribuables.
Le contournement par les holdings : l’exemple emblématique
Cependant, cette réforme présente une faille majeure que les plus grandes fortunes exploitent massivement. Des milliardaires comme Bernard Arnault peuvent éviter totalement la flat tax en conservant leurs dividendes au niveau de leurs holdings personnelles, sans les distribuer. Pour en savoir plus lisez notre article : Combien devrait payer Bernard Arnault en impôts sur le revenu ?
Cette optimisation n’est pas anecdotique. Selon les données de France Stratégie, 33% des dividendes sont déclarés par seulement 0,01% des foyers fiscaux (4 000 foyers recevant chacun plus d’1 million d’euros). Ces ultra-riches ont les moyens de structurer leurs revenus via des montages complexes de holdings.
Le paradoxe est saisissant : la flat tax a incité les « petits » détenteurs de capitaux à déclarer plus, mais elle n’atteint pas les très grandes fortunes qui peuvent se permettre une ingénierie fiscale sophistiquée. L’effet redistributif inverse de celui recherché.
La solution : une flat tax à la distribution
Pour corriger cette distorsion, plusieurs économistes plaident pour une flat tax à la distribution au niveau des sociétés, et non plus seulement au niveau des personnes physiques. Cette mesure consisterait à prélever 30% dès la distribution de dividendes par toute société française, indépendamment de la nationalité ou du statut du bénéficiaire.
Avantages de ce système :
- Impossible d’échapper à l’impôt en gardant les dividendes dans une holding
- Égalité de traitement entre tous les actionnaires
- Simplification administrative
- Recettes supplémentaires significatives
Cette réforme permettrait de corriger l’une des principales injustices du système actuel : que Bernard Arnault, première fortune de France, puisse échapper à la flat tax alors qu’un cadre supérieur détenant quelques actions la paie intégralement.
L’enjeu dépasse la simple équité fiscale : il s’agit de préserver la légitimité du système fiscal français face à des inégalités de traitement qui alimentent le sentiment d’injustice fiscale dans l’opinion publique.
Une élasticité défaillante des recettes fiscales
L’un des phénomènes les plus préoccupants, concerne l’évolution spontanée des recettes fiscales par rapport à la croissance économique. Normalement, les recettes fiscales progressent plus rapidement que le PIB en période de croissance. Cependant, cette élasticité s’est considérablement dégradée.
Selon Fipeco, l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB a été particulièrement faible en 2023 (0,4) et 2024 (0,6), contre 1,5 en 2017 et 2022. Cette faiblesse explique en partie pourquoi, malgré une croissance positive, les recettes fiscales peinent à retrouver leur dynamisme.
Le Trésor public confirme cette analyse en soulignant qu’en 2023, l’évolution spontanée des prélèvements obligatoires s’est révélée très inférieure à celle de l’activité en valeur (+2,6 % contre +6,3 % pour le PIB).
Conséquences :
- Déficit structurel : même avec de la croissance, les comptes ne se redressent plus automatiquement
- Piège budgétaire : il faut plus de croissance pour générer les mêmes recettes
- Pression future : nécessité de nouvelles hausses d’impôts ou de coupes dans les dépenses
Des erreurs de prévision récurrentes
La Cour des comptes pointe également les faiblesses techniques dans les prévisions de recettes. En 2024, l’écart entre les prévisions et la réalisation des recettes fiscales nettes a atteint 22,8 milliards d’euros, dépassant même celui observé en 2023 (5,3 milliards d’euros).
L’impôt sur les sociétés illustre parfaitement cette difficulté : l’écart à la prévision s’est élevé à 10,2 milliards d’euros en 2024, soit 17,8 % de son produit final. Cette imprécision révèle la complexité croissante de l’économie française et la difficulté à anticiper les comportements des contribuables.
Les conséquences de la montée des taux d’intérêt
L’environnement de taux d’intérêt élevés, notamment au second semestre 2024, a également pesé sur les finances publiques. Bien que la charge totale de la dette ait diminué à 50,1 milliards d’euros, le volume des intérêts payés a fortement augmenté, passant de 41,5 milliards d’euros à 46,5 milliards d’euros en 2024.
Cette situation réduit mécaniquement les marges de manœuvre budgétaires et contraint l’État à maintenir un niveau de recettes élevé pour financer ses dépenses courantes et le service de la dette.
L’impact de l’instabilité gouvernementale
L’instabilité politique de 2024 a également eu des répercussions sur les finances publiques. La Cour des comptes note que cette instabilité gouvernementale a été sanctionnée par une prime de risque facturée par les acheteurs de titres français, alourdissant le coût de financement de l’État.
Des défis structurels persistants
Au-delà de ces facteurs conjoncturels, la France fait face à des défis structurels qui pèsent sur ses recettes. Le vieillissement démographique, la désindustrialisation relative et la concurrence fiscale internationale limitent les possibilités d’augmentation des recettes sans risquer de pénaliser la compétitivité économique.
La transformation de l’économie vers le numérique pose également de nouveaux défis en matière de collecte fiscale, certaines activités échappant partiellement à la fiscalité traditionnelle.
Vers une nécessaire réforme du système fiscal
Face à cette situation, la Cour des comptes recommande d’engager rapidement des études pour consolider les modèles de prévisions et d’adopter des prévisions plus prudentes. Elle préconise également une véritable revue des dépenses fiscales dans un objectif explicite d’économies.
L’enjeu est de taille : restaurer la capacité de l’État à financer ses missions tout en préservant la compétitivité de l’économie française. Cela passe probablement par une simplification du système fiscal et une meilleure évaluation de l’efficacité des dispositifs existants.
A lire : La taxe Zucman : une révolution fiscale pour la France ou un mirage économique ?
La baisse des recettes de l’État français depuis quelques années résulte donc d’une combinaison complexe de facteurs : crise sanitaire, réformes fiscales, prolifération des niches, difficultés de prévision et contexte économique dégradé. Seule une approche globale et structurelle permettra de restaurer durablement l’équilibre des finances publiques françaises.

Yann, 35 ans, passionné par les enjeux de société et de politique, porte un regard libre et attentif sur le monde qui l’entoure. Installé à Strasbourg, ville qu’il affectionne tout particulièrement, il décrypte l’actualité avec curiosité, rigueur et une volonté constante de comprendre et faire comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre époque